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 Bolivie : Trajectoire politique et idéologique Histoire ...

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FleurOccitane
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MessageSujet: Bolivie : Trajectoire politique et idéologique Histoire ...   Bolivie : Trajectoire politique et idéologique Histoire ... EmptyLun 1 Mai à 21:39

Citation :

Bolivie : Trajectoire politique et idéologique Histoire du Mouvement vers le Socialisme
| Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine | www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1676

La victoire écrasante de l’ancien leader syndical indigène des cultivateurs de coca, Evo Morales, aux élections présidentielles du 18 décembre 2005 fait entrer la République bolivienne dans une nouvelle ère, celle du changement. A cette occasion, nous publions une analyse de l’histoire du parti du nouveau président, le Mouvement vers le socialisme, un texte qui a été rédigé avant le victoire électorale. par Shirley Orozco 29 mars 2006

A partir de 1985, avec l’application du modèle néolibéral, en Bolivie, ont été mises en œuvre une série de réformes structurelles qui ont démantelé et déstructuré graduellement les industries d’Etat et corrélativement les structures organisationnelles de mobilisation, représentées alors par le mouvement ouvrier et l’avant-garde minière ; le tout ayant pour effet de décimer peu à peu les organisations sociales existantes autour desquelles s’étaient formée la gauche bolivienne depuis le milieu du siècle. Cela, ajouté à la désastreuse gestion du gouvernement de la coalition de gauche de l’Unité démocratique populaire (UDP) [1], au début des années 80, a abouti à une marginalisation et quasi-disparition des formations politiques de gauche du pays. Cependant, dès la fin des années 80, en différents endroits du pays, vont s’organiser et se réorganiser les « sans logis de la politique » (« no lugares de la politica ») [2], rendant possible l’émergence d’anciens et nouveaux mouvements sociaux, la plupart incorporant à leur action politique les trajectoires et savoirs du passé, ainsi qu’un répertoire tactique, des formes d’organisation et des discours rénovés. Dans ce contexte, parmi les mouvements qui émergent dans le Chapare [département de Cochabamba] figure le mouvement cocalero [3], qui après plusieurs années d’organisation, de lutte et de résistance, a réussi à se transformer en base sociale principale de ce qui est aujourd’hui l’un des partis politiques de gauche les plus importants : le Mouvement vers le socialisme - Instrument politique pour la souveraineté des peuples (MAS - IPSP). Un parti qui peut être considéré, à présent, comme l’organisation politique la plus représentative d’une nouvelle gauche sociale et politique dans le pays.

Trajectoire politique du MAS

A la fin des années 80 dans la zone du Chapare, dans le département de Cochabamba, le mouvement syndical cocalero a émergé et s’est organisé progressivement, parallèlement à l’application de politiques coercitives de « lutte contre le trafic de drogue », menées par l’Etat bolivien et le gouvernement des Etats-Unis, et dans un contexte de conflit et d’opposition permanente à ces mesures.

Dans le cadre de la Loi 1008 (Loi du régime de la coca et des substances contrôlées, promulguée le 19 juillet 1988), le gouvernement bolivien, identifiant la région du Chapare comme une zone de production excédentaire de coca [4] et, en conséquence, comme une « zone illégale » pour la culture de la feuille de coca, a appliqué les plans d’éradication forcée et progressive de la coca et sa substitution par d’autres cultures, conformément au plan de développement alternatif.

La violence accompagnant la mise en oeuvre des politiques d’éradication - qui a conduit à la militarisation du Chapare - conjuguée à l’échec du développement alternatif [5], a abouti à l’activation et à la revitalisation du relativement récent mouvement syndical-paysan des organisations cocaleras. La migration vers la zone du Chapare - provenant essentiellement des anciens centres miniers - permit, par ailleurs, la diffusion d’expériences et de savoirs emmagasinés auparavant par d’autres types d’organisation. A ce sujet, Pablo Stefanoni indique que « les formes organisationnelles et idéologiques du syndicalisme ouvrier - particulièrement à partir de la crise minière - ont transmis une expérience accumulée aux zones de colonisation les plus récentes et ont contribué à politiser des revendications de nature économico-corporative » [6].

Le harcèlement étatique à l’encontre des familles paysannes qui avaient trouvé dans la culture de coca une activité productive bien plus rémunératrice que n’importe quelle autre activité agricole [7], a conduit rapidement à la consolidation d’une culture syndicale de résistance et à une mobilisation permanente capable de récupérer et radicaliser des répertoires tactiques traditionnels d’action collective comme les grèves de la faim, le blocage de route, les manifestations et longues marches, le tout dans un contexte d’accords et désaccords, de dialogues et négociations avec le gouvernement en place.

Jusque-là, la logique organisationnelle territoriale du syndicalisme paysan, la discipline et la logistique, héritées du mouvement des mineurs, et la conviction de la supériorité du syndicat par rapport au parti avaient prévalu dans l’organisation du mouvement cocalero. Néanmoins, en 1994, après plus de dix ans de consolidation et de politisation du mouvement paysan, revitalisant la tradition politico-sociale, la contradiction parti - syndicat fut brisée et le premier pas vers la création de « l’Instrument politique pour la souveraineté des peuples » (IPSP) franchi, quelques mois avant la « marche pour la vie, la coca et la souveraineté nationale » [8]. Cette initiative naquit dans le contexte du premier congrès Terre et Territoire qui se tint à Santa Cruz en 1995 et auquel participèrent la Centrale syndicale des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB), la Centrale syndicale des paysans de Bolivie (CSCB), la Centrale indigène de l’Est bolivien (CIDOB), la Fédération nationale des femmes paysannes de Bolivie (FNMCB - BS) [9] et d’autres organisations qui, par la suite, réussirent à se réaffirmer et se fortifier au cours du VIe Congrès ordinaire de la CSUTCB. Réuni entre mars et avril 1996, à Santa Cruz, il fut qualifié d’historique du fait de la consolidation de la construction de ce que l’on appelle « l’instrument politique ». C’est dans ce contexte que des résolutions sur lesquelles les mouvements s’étaient accordés furent approuvées et que fut créée l’Assemblée pour la souveraineté des peuples (ASP) qui, toutefois, n’est pas parvenue à entrer en activité et s’est dissoute, d’une part en raison de la division interne et de l’éloignement d’Alejo Veliz et, d’autre part, du fait de la désapprobation du sigle manifestée par la Cour nationale électorale (CNE). Mais, l’initiative, latente, finit par prendre forme via le MAS - IPSP, quelques mois plus tard.

La thèse de l’instrument politique consiste à rompre l’opposition entre le parti et le syndicat au moyen de la création d’un parti politique, extension des organisations syndicales, capable de se convertir en outil - en tant qu’unique forme, bien entendu - de participation politique légitime à un moment donné [10]. Cette décision est une rupture avec une vieille thèse de la gauche traditionnelle qui avait séparé la logique d’organisation partisane, tenue pour l’avant- garde éclairée, et l’organisation syndicale que l’avant-garde prétendait représenter et diriger en raison de sa cohésion idéologique, de sa connaissance de la « vérité historique » et du niveau de « conscience » qu’elle était supposée posséder. Dans la logique de l’instrument politique, au contraire, c’est une « auto-représentation » de la société elle-même en un « instrument politique » conçu comme une prolongation de l’action des syndicats dans l’espace électoral qui est recherché. Ainsi, la séparation opérée par la gauche classique entre l’avant-garde et la masse, ou entre le parti et le syndicat, a été remplacée par une conception postulant l’identité entre les deux puisque le « parti » ou instrument, n’était rien de plus qu’une des facettes de l’activité syndicale. La possibilité de parvenir à ce type de représentation a sûrement eu à voir avec plusieurs facteurs liés à l’accumulation historique d’expériences à l’intérieur des mouvements sociaux, et aussi avec la condition socio-économique et ethnique des nouveaux dirigeants sociaux qui, à la différence de l’ancienne gauche, ne sont pas issus des classes moyennes métisses ayant une propension à transformer en atout politique leur capital culturel, mais de secteurs paysans qui ont réussi, face à l’Etat, à politiser l’ensemble de leurs revendications en relation avec une revitalisation du discours et l’ « auto-identification » comme peuples et nations indigènes originaires.

Si ce paradigme réussit à dépasser l’ancienne scission de la gauche bolivienne entre « avant-garde » et « masse », tout en confortant la tradition d’action politique corporative du syndicalisme bolivien, avec le temps, une vieille dualité, propre à la pensée libérale contemporaine, se renforcera aussi : la « politique » en tant que réalité parlementaire, dans laquelle sont impliqués à présent non seulement des partis mais aussi des syndicats, et le « social » synonyme de luttes revendicatives qui se réalisent en dehors du parlement ; le tout donnant lieu à une réduction du fait politique à la chose parlementaire.

Malgré tout, la première percée électorale de la coalition politique de syndicats agraires du MAS - IPSP a eu lieu lors des élections municipales de 1995, non pas sous la bannière de l’Assemblée pour la souveraineté des peuples (ASP), car elle n’avait pas été reconnue par la Cour nationale électorale, mais sous le nom de Gauche unie (GU), au terme d’un accord électoral. A cette occasion, la coalition est parvenue à participer et à obtenir 49 conseillers municipaux et 10 mairies, tous dans le département de Cochabamba.

L’étape suivante a été celle des élections présidentielles de 1997, également abordée sous l’appellation de Gauche unie. A cette occasion, Alejo Veliz alors président de l’ASP, s’était porté candidat à la présidence, Marcos Domic, issu de la vieille gauche et dirigeant de la GU, à la vice-présidence et Evo Morales à la chambre des députés. Parmi tous les candidats qui se sont présentés, quatre seulement ont été élus députés : Evo Morales Ayma, Román Loayza, Félix Sánchez et Néstor Guzmán Villarroel.

Ce sont surtout des cocaleros et des habitants des zones rurales de Cochabamba qui ont apporté les suffrages lors de cette joute électorale, ce qui a eu pour effet d’enfermer le mouvement au niveau local, même s’il a obtenu 3,4% des voix sur l’ensemble du pays [11]. De plus, Evo Morales a été élu député de la circonscription 27 de Cochabamba avec 61,8% des suffrages, le record national.

Deux ans plus tard, après la rupture entre Evo Morales et Alejo Veliz, conséquence d’une suite de querelles pour le leadership paysan à Cochabamba et après un nouvel essai non transformé en vue d’obtenir la reconnaissance du sigle « Instrument politique pour la souveraineté des peuples » (IPSP) devant la Cour nationale électorale, Evo Morales et ses partisans ont décidé, à l’occasion des élections municipales de 1999, d’adopter le sigle « Mouvement vers le socialisme » (MAS) [12]. Ils ont obtenu, de manière autonome, 3,2% des suffrages à l’échelle nationale, un résultat traduit par la conquête de 27 postes de conseillers municipaux et de 7 mairies.

Par la suite, au cours des années 2000 et 2001, le soulèvement social de la « guerre de l’eau » [13] et la rébellion aymara dans l’Altiplano [Haut-plateau andin] de La Paz ont modifié radicalement le situation politique. Les mouvements sociaux indigènes et populaires n’étant plus à présent articulés autour d’une base et d’une identité ouvrière liée à la grande industrie, ont aidé à recoudre le tissu social détricoté par les réformes néolibérales des années 80 et 90. En peu de temps, ces mouvements sociaux se sont convertis en acteurs politiques capables de modifier les politiques publiques (expulsion de l’entreprise transnationale Bechtel de Aguas del Tunari, annulation du Projet de loi sur l’eau, etc.), d’affaiblir le système politique qui jusqu’alors reposait sur trois partis (MNR, ADN et MIR [14]) et d’éroder le système de croyances dominant fondé sur la foi dans les vertus des privatisations et des accords partisans. De nouveaux projets sociétaux de la base indigène ainsi qu’une propension croissante à vouloir donner à l’Etat le rôle central dans l’économie ont commencé à devenir un sens commun émergeant dans de plus en plus de groupes sociaux subalternes, de telle sorte qu’un espace disponible pour d’autres croyances et leaderships sociaux s’est ouvert [15], une conjoncture dont le MAS tirera les bénéfices sur le plan électoral.

A partir des élections présidentielles de 2002, à la différence des scrutins précédents où il n’avait agi que localement, le MAS élargit son champ d’action en présentant pour la première fois des candidats dans tous les départements. Initialement crédité d’une intention de vote inférieure à 5%, comme l’indique Salvador Romero Ballivián [16], le MAS entama un parcours électoral au terme duquel il parvint à la seconde place à l’échelle nationale recueillant 20,94% des voix, soit une différence minime (1,51%) par rapport au Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), arrivé en tête avec 22,45% des suffrages. Il triompha dans quatre des neuf départements que compte le pays (La Paz, Cochabamba, Oruro et Potosí), et obtint l’élection de 8 sénateurs et 27 députés.

A cette occasion, le MAS - IPSP est parvenu à diffuser ses propositions et son projet politique du rural à l’urbain et du local au national, réussissant une alliance électorale inédite entre indigènes, paysans et population urbaine (partisans de l’ancienne gauche, syndicalistes, intellectuels et classe moyenne).

De plus, avec le score obtenu lors des élections de 2002, le MAS a réussi à rompre avec une posture conservatrice, fondée sur des préjugés, employée tout au long de l’histoire de la République. Pour la première fois, des électeurs issus des classes populaires mais aussi de la classe moyenne ont donné leur appui à un mouvement conduit par un indigène et ont misé sur une « auto-représentation », aussi bien de classe qu’ethnique, remettant en cause précisément les deux clivages centraux des rapports de domination contemporains.

Si l’affaiblissement des anciennes croyances néolibérales a été décisif pour que le MAS - IPSP obtienne le résultat atteint lors des élections de 2002, d’autres éléments de la conjoncture ont précipité également la mise en place de cette nouvelle situation électorale. En particulier, l’expulsion d’Evo Morales du parlement au début de l’année électorale - qui lui a donné l’aura de victime politique du critiqué système politique traditionnel - et la grossière intervention de l’ambassadeur des Etats-Unis, Manuel Rocha, exhortant à plusieurs reprises l’électorat bolivien à ne pas voter pour Evo Morales, ont aidé le MAS - IPSP à se consolider, et surtout à faire d’Evo Morales la figure la plus emblématique de cette gauche indigène émergente qui, à la différence de Felipe Quispe [17], qui pourtant a joué un rôle plus décisif dans la construction d’une force de mobilisation et d’un discours radical indigène, a trouvé un bien meilleur accueil au sein du milieu urbain et parmi les classes moyennes.

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FleurOccitane
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MessageSujet: Re: Bolivie : Trajectoire politique et idéologique Histoire ...   Bolivie : Trajectoire politique et idéologique Histoire ... EmptyLun 1 Mai à 21:40

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Syndicat - Parti

Depuis sa naissance, le MAS - IPSP s’apparente à une structure organisationnelle duale. D’un côté, il prend appui- initialement - sur la structure du mouvement cocalero et, ensuite, - à partir de 2002 - sur une coalition de mouvements sociaux, organisés, indépendants, sans réelle cohésion. De l’autre, il organise ou essaie d’organiser, une structure politique semi-professionnalisée, en fonction de la division territoriale et politico-administrative de la République, avec des niveaux représentatifs et hiérarchiques qui personnifient et donnent l’image d’une organisation unie.

La première configuration n’est pas une structure stable étant donné qu’à n’importe quel moment chacune des différentes composantes peut se séparer, encore plus lorsque la représentation populaire se fait à travers des partis politiques, des collectifs citoyens et des peuples indigènes. A l’exception des organisations cocaleras et des colons du Chapare, et dans une moindre mesure des organisations cocaleras et des colons des Yungas - qui constituent la base sociale fondamentale du MAS - les organisations indigènes et populaires peuvent s’éloigner définitivement ou créer des divisions internes.

Dans le second cas, au cours des dernières années, le MAS - IPSP a essayé à plusieurs reprises d’institutionnaliser et de mettre en marche la structure organique nationale suivante : les directions nationales, départementales, régionales, provinciales, de section et de secteur [18], mais avec de nombreuses restrictions. Selon plusieurs dirigeants et parlementaires, il n’a pas été possible jusqu’à présent d’institutionnaliser les différents niveaux départementaux, et encore moins au niveau national, en raison de l’insuffisance de ressources matérielles et de l’absence de l’appareil politique nécessaire pour y parvenir. Ainsi, compte tenu du fait que seul Evo Morales maintient une présence au plus haut niveau au sein de chacune des composantes du MAS, il n’est pas étonnant d’assister à une concentration croissante de pouvoir en sa personne, s’apparentant à un type de caudillisme politique de nature charismatique. Au sens strict, on peut dire que le MAS est une organisation politique de masse, manquant de solides cadres politiques intermédiaires et où la fonction de lien entre les dirigeants et les militants est remplie par les structures organisationnelles des mouvements sociaux et syndicats agraires.

Lors des élections municipales de 2004, bien que le MAS - IPSP ait été le parti qui obtint le plus de voix et de conseillers municipaux à l’échelle nationale, il n’est pas parvenu à dépasser le plafond atteint au moment des élections générales de 2002. A cette occasion il a obtenu 20,9% des suffrages tandis que lors des municipales de 2004 son résultat a diminué pour atteindre 18,4% du total national. Toutefois, pour ce qui est des municipales, il est passé du neuvième rang - lors des élections de 1999 où il a recueilli 3,2% du total des votes au niveau national - au statut de parti préféré de l’électorat bolivien avec 18,4% des suffrages. Actuellement, le MAS - IPSP a des conseillers municipaux dans quasiment toutes les municipalités du pays dans les zones rurales et dans six des dix municipalités les plus grandes situées en zone urbaines.

Finalement, le mode d’action politique du MAS - IPSP dans les dernières années s’est progressivement modifié - il faudra certainement rechercher les facteurs qui ont donné lieu à ce changement - passant de la combinaison d’un ardu travail de terrain et d’actions protestataires variées à une activité dans laquelle, bien que soient maintenues quelques mobilisations sporadiques, la gestion parlementaire se trouve privilégiée. L’absence de la base sociale active - en tout cas mobilisée en tant que MAS - IPSP - lors des journées d’octobre 2003 [19] ou encore lors des mobilisations de défense de l’eau en janvier 2005 [20], sont des exemples qui illustrent clairement cette situation.

Construction discursive

Au terme de cette trajectoire, le MAS - IPSP est devenu l’organisation politique la plus emblématique de ce que l’on a fini par appeler une « nouvelle gauche » et le contenu de son discours idéologique présente une série de caractéristiques qui tout à la fois rompent avec et s’inscrivent dans la continuité du projet politique de la gauche dominante au cours du XXe siècle.

Dans le discours proposé par le MAS - IPSP, certains contenus se modifient peu à peu, en suivant le rythme des changements qui affectent la réalité. Ces contenus passent dans de nombreux cas du statut de revendications et problématiques sectorielles et régionales à celui de propositions et problématiques de caractère national.

On ne peut pas dire pour autant qu’il s’agit d’une organisation politique ayant un solide programme de changements et de réformes, autour duquel s’articule sa stratégie, comme cela était habituellement le cas avec la gauche marxiste du milieu du XXe siècle.

Aujourd’hui, en revanche, cette « nouvelle gauche » construit son projet politique en fonction des problèmes ponctuels abordés (autour de la coca, des privatisations, etc.) ; problèmes à partir desquels se construit lentement un programme souple et jusqu’à un certain point pragmatique de réformes à adopter en cas d’arrivée au pouvoir. Pour cela et compte tenu de son ampleur et des différents moments qui se sont succédé depuis la formation du parti, dans le paragraphe suivant, nous allons seulement mettre en lumière quelques-unes des thématiques, problématiques et caractéristiques du discours produit.

-Pour ce qui a trait au thème de l’identité : le MAS dans son discours- en tant que caractéristique première -, incorpore et revalorise l’identité ethnique. Pour Stefanoni, il réalise une « recomposition identitaire » [21] en relation avec le mouvement ouvrier des mineurs. Il incorpore l’identité ethnique (quechua - aymara) et la superpose aux autres identités - parmi lesquelles celle de classe (travailleur, paysan, ouvrier, manoeuvre) - la plaçant au second plan à de nombreuses reprises, mais aussi l’utilisant lorsque le parti fait appel à une mémoire longue. Cela, sans aucun doute, est un élément clé de différenciation avec la routine idéologique déployée antérieurement par la gauche bolivienne dont le noyau identitaire était l’ouvrier pourvu d’une conscience de classe. Mais, de surcroît, dans cette thématique identitaire, le MAS crée un « nous » et un sentiment d’appartenance, en opposition à « eux », la plupart du temps représenté par le « peuple » ou le « populaire », comme terme rassemblant la majorité ou presque tous, mais pas tous, avec des frontières très diffuses d’exclusion ou d’appartenance, puisque parfois certains groupes sociaux appartiennent au « nous » et d’autres fois non. Ce type de construction du « nous » comme une grande partie du tout, permet au MAS en période électorale de se rapprocher ou d’obtenir l’adhésion de larges secteurs de la population, tels que, par exemple, des groupes de la classe moyenne qui ne se considèrent ni comme indigènes ni comme membres des classes populaires mais qui s’identifient au peuple.

-Pour ce qui est de « l’efficacité » ou du « mode d’action » : à ses débuts le MAS - IPSP faisait valoir dans son discours la nécessité de changer les conditions de vie sociale au moyen d’actions collectives concrètes. Mais, depuis un peu plus de deux ans, le discours utilisé insiste sur le fait qu’il est possible de changer « le présent », les conditions de vie actuelles par le biais d’une action ponctuelle, de la participation au système politique partisan et aux élections à travers le vote, et non via un soulèvement ou la lutte dans les rues. Cette situation est résumée dans la phrase : « de la protestation à la proposition ».

-En ce qui concerne l’injustice : le MAS dans son discours met en débat public une série de questions tenues pour des situations sociales problématiques. Le MAS - IPSP identifie aussi les causes, les motifs et l’origine des problèmes sociaux, politiques et économiques. Et les agents responsables. Le discours du MAS - IPSP a pour trait caractéristique le « diagnostic » ; il focalise son intérêt sur l’identification de quelques événements ou situations problématiques, répertorie des causes et des agents sociaux responsables de la situation actuelle, en plus de poser la nécessité du changement. Il remplit la fonction de problématiser quelques faits sociaux et d’analyser la situation actuelle. Pourtant, malgré le fait qu’il dicte un positionnement en rapport avec les problématiques énoncées et qu’il nomme vaguement quelques objectifs à poursuivre, un autre trait qui caractérise le discours du MAS - IPSP est l’absence de « pronostic ». Il n’établit pas un plan clair à suivre par rapport à chaque problématique (comme, par exemple, déterminer ce qu’il faudrait faire), ou par rapport à l’énoncé d’objectifs (immédiats ou à long terme) - qui doit le faire ? et par quels moyens ? - ou par rapport aux tactiques et stratégies qu’il convient de suivre. Par ailleurs, nous pouvons souligner dans le discours du MAS - IPSP, la propension à la contextualisation des problématiques qu’il pose dans des contextes plus larges, reprenant de manière emphatique les expériences et le traitement que font de ces problématiques les zapatistes au Chiapas, le Mouvement d’unité plurinominale Pachatukic - Nouveau pays en Equateur et, ces derniers temps, le mouvement bolivarien au Venezuela. Dans le discours du MAS - IPSP, ces expériences politiques sont présentées comme des références et, parfois, des modèles à suivre.

Enfin, afin de faire ressortir, d’un côté, sa position politique de gauche et sa composition indigène et, de l’autre, s’inscrire dans la continuité de l’engagement et de la lutte de ses prédécesseurs, le MAS - IPSP renvoie à une mémoire longue, faisant allusion à des chefs indigènes tels que : Túpac Amaru, Túpaj Katari, Bartolina Sisa, Zárate Willca, et à une mémoire plus courte, citant deux personnalités représentatives de la gauche comme Marcelo Quiroga Santa Cruz [22] et Luis Espinal [23].

[...]


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Notes :

[1] [NDLR] L’Unité démocratique populaire était une coalition de gauche composée du Parti communiste, du Mouvement de la gauche révolutionnaire et du Mouvement nationaliste révolutionnaire de gauche. Elle a gouverné la Bolivie entre 1982 et 1985.

[2] Luis Tiapa, « Movimientos Sociales, movimiento societal y los no lugares de la política”, dans Democratizaciones pleyebas, La Paz , 2002.

[3] [NDLR] Le mouvement des paysans cultivateurs de coca.

[4] La Loi 1008 différencie la production nécessaire (pour usage et consommation) de la production excédentaire. D’un autre côté, elle identifie en outre trois types de zone -autorisée ou non à cultiver- la zone de production traditionnelle, la zone de production excédentaire en transition, la zone de production excédentaire illicite. Dans le premier cas, celui des zones de production traditionnelle, il est seulement permis de cultiver 12 000 hectares. Dans le second cas, des zones habitées telles que celles du département de La Paz (les provinces de Saávedra, Larecaja et Loayza) et du département de Cochabamba (les provinces du Chapare, de Carrasco, Tiraque et Arani) sont soumises à une éradication forcée.

[5] Ce qui est mentionné par plusieurs auteurs dont G. Argarañas, Silvia Rivera et d’autres dans le travail de Pablo Stefanoni, 2003.

[6] Pablo Stefanoni, Conflicto social, crisis hegemónica e identidades políticas en Bolivia : la emergencia del Movimiento al Socialismo-Instrumento para la Sobreanía de los Pueblos, Flasco, MS, La Paz, 2003.

[7] Alison Spedding, Kawasachun, coca. Economía, campesina cocalera en los Yungas y el Chapare, PIEB, La Paz, 2004

[8] Víctor Oporto, Triunfo de los Vilipendiados, Ediciones CITS, La Paz, 2002.

[9] Stefanoni, op cit.

[10] A partir de l’application de la Loi 2771 relative aux groupements citoyens et peuples indigènes, la représentation politique nécessaire pour accéder à une charge publique peut être exercée par des partis politiques, des groupements citoyens et des peuples indigènes.

[11] Salvador Romero Ballivian, Geografía Electoral de Bolivia, Fundemos, Fondation Hanns Seidel, La Paz, 2003.

[12] Le sigle « MAS » provient d’une fraction qui s’était détachée de la Phalange socialiste bolivienne (FSB) à la fin des années 80 et était dirigée par David Añez Pedraza. Ce groupement avait l’intention de s’éloigner des principes anti-gauches et anti-syndicaux de la Phalange et se rapprocher de la gauche pour former le MAS unzanguista (référence au leader historique Óscar Únzaga) qui ultérieurement se rattachera à des groupes tel que celui d’Evo Morales dans Gauche unie. Peu après, Morales, qui cherche à s’inscrire dans le système électoral, finira par s’accaparer le sigle, tout en éliminant le unzanguismo en tant que nom et idéologie et en gardant la couleur bleu du phalangisme.

[13] [NDLR] Cochabamba, dans la région du Chapare fut le théâtre de ladite guerre de l’eau. En avril 2000, la dénommée « or bleue » a déchaîné dans la ville l’une des révoltes les plus bruyantes de l’histoire récente du pays. Ses habitants se sont mobilisés contre l’augmentation disproportionnée des tarifs de l’eau, dont les prix avaient quadruplé en à peine quelques semaines, et ont obtenu l’expulsion de l’entreprise privée, Aguas del Tunari, (un consortium conduit par la multinationale Bechtel) en charge des services d’eau.

[14] [NDLR] le MNR = Mouvement nationaliste révolutionnaire, fondé dans la première moitié du XXe siècle et qui a pris le pouvoir lors de la révolution de 1952 ; le MIR = le (très mal nommé) Mouvement de la gauche révolutionnaire, qui dans les années 80 a laissé tomber la gauche pour adhérer au modèle de marché ; l’ADN = Action démocratique nationaliste (ADN), parti créé à la fin des années 70 pour permettre au dictateur Hugo Bánzer Suárez de démocratiser son image.

[15] Álvaro García Linera, « La crisis de Estado y las sublevaciones indigeno-plebeyas » dans collectif, Memorias de octubre, Muela del Diablo Editores, La Paz, 2004.

[16] Salvador Romero Ballivían, “La Elección Presidencial 2002. Una visión de conjunto”, dans “Opiniones y Análisis. Elecciones presidenciales 2002. Fundemos, La Paz, 2002.

[17] [NDLR] Felipe Quispe, dit "el Mallku", est le leader historique du Mouvement indigène pachakuti (MIP) et de la Centrale syndicale unifiée des travailleurs paysans (CSUTCB).

[18] Statut organique du Mouvement vers le socialisme MAS-IPSP, avec ses variantes respectives suivant les nouvelles dispositions des congrès nationaux et départementaux.

[19] [NDLR] La guerre du gaz et la fuite du président Gonzalo Sanchez de Lozada.

[20] [NDLR] Lire Iñigo Herraiz, Bolivie : quand l’eau est privatisée, RISAL, avril 2005 ; Marie Mazalto, Le contrat entre la compagnie française Suez Lyonnaise des Eaux et la Bolivie déborde, RISAL, mars 2005 ; Eric Toussaint, Sous la pression populaire, le président bolivien met fin à la présence de Suez en Bolivie, RISAL, février 2005 ; Jim Shultz, Bolivie : la seconde guerre de l’eau, RISAL, décembre 2004.

[21] Pablo Stefanoni, « MAS-IPSP, la emergencia del Nacionalismo pleyebo », dans Revista del Observatorío Social de América Latina, Año IV, No 12, 2003.

[22] [NDLR] Homme politique et écrivain bolivien, Marcelo Quiroga Santa Cruz (1931-1980) a joué un rôle important dans la nationalisation des biens de la Gulf Oil en tant que ministre de l’Energie et des Hydrocarbures, dans le gouvernement de Ovando (1969-1970). Il a été assassiné en 1980 par des paramilitaires durant la dictature de Luis Garcia Mesa (1980-1981).

[23] [NDLR] Prêtre assassiné par la dictature en 1980.

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous :

Source : revue Barataria (http://revistabarataria.free.fr/), 2005.

Traduction : Le Jouet Enragé/ El Juguete Rabioso (http://eljugueterabioso.free.fr/). Traduction revue et corrigée par l’équipe de RISAL (www.risal.collectifs.net/).

De : jp
samedi 1er avril 2006

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