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 Rapport Benisti

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FleurOccitane
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Date d'inscription : 30/04/2005

Rapport Benisti Empty
MessageSujet: Rapport Benisti   Rapport Benisti EmptyLun 7 Nov à 19:18

Citation :

Fin 2004, un groupe d’études parlementaires, composé de députés de droite et de gauche, remettait à Dominique de Villepin un rapport sur la prévention de la délinquance, dit rapport Bénisti. Sa lecture sidère, d’incrédulité ou d’effroi. Procédant d’une culture du « résultat » et de l’éviction de « l’aspect simplement social » de la question, il noue ensemble les figures de l’adolescent et de l’étranger, autour du critère de la difficulté de la langue. Il s’agit dès lors de corriger, à l’appui du savoir-pouvoir de la rééducation, et avec comme principe la négation de toute singularité. Notes de lecture, et d’écœurement.

mars 2005
par Ariane Chottin-Burger

Contrôle
on n’en croit pas ses yeux


Le rapport Bénisti a été rendu public en octobre 2004. Il a commencé à circuler en janvier. Lentement les réactions émergent, s’agrègent, se cristallisent [1].Toutes semblent précédées d’une forme de stupeur. C’est à n’en pas croire ses yeux. Au cœur même de la lecture, quelque chose d’illisible dédouble les mots, met de guingois les phrases comme ces virus informatiques qui provoquent une sorte de glissement de l’écran sur lui-même, laissant le texte à la fois tout à fait lisible et entièrement aberrant. À la lecture des premiers extraits du rapport qui circulent, on est tenté de redresser la tête et d’attraper au vol le visage du premier voisin venu pour bien mesurer que ce n’est pas possible, que c’est une blague, un canular — on est bien d’accord, n’est-ce pas ? Et puis on y retourne. On va sur le site du député, et l’irréel prend un tour monstrueux. Le rapport Bénisti est bien là, tel qu’en lui-même. Soixante pages dont la lecture promet le haut-le-c œur des machines de foire. Attachez vos ceintures / paroi glissante garantie. Garantie acéphale de la norme sécuritaire : risque zéro / effroi absolu.

Tout cela émane du GEPSI (Groupe d’Études Parlementaires sur la Sécurité Intérieure). Et a pour objet la prévention de la délinquance. Y sont posées des affirmations d’une violence inouïe et que la bêtise ne parvient pas à émousser. Pour ce faire, les moyens les plus grossiers d’un pseudo-appareillage scientifique sont employés (voir la courbe indicative de déviance en document joint à cet article), le rapport lui-même est rédigé, à la 6/4/2 (observations/actions), dans un vocabulaire indigent, propagandiste et militaire. Réapparition des classes dangereuses, instrumentation des visages de l’adolescent et de l’étranger obstinément conjoints pour les besoins d’un portrait-robot qui superpose leurs traits sans fin. Enfance et adolescence portent en elles le germe de la désobéissance sociale, de cette arborescence sauvage que l’étranger incarne - et qu’ici il alimente par la langue, c’est la nouveauté de ce rapport. L’affirmation est sans équivoque : la délinquance est enracinée dans l’immigration par la langue, et les études du Conseil Scientifique de l’Observation des Statistiques de l’Immigration et de l’Intégration sont là pour appui. « Difficultés de la langue + comportement indiscipliné » sont les ingrédients de la déviance. Une fois l’équation clairement posée (= observation), les moyens de sa résolution sont simples (= action).

Coutume et destin

Et puisque rapport parlementaire il y a, puisqu’il s’agit de faire rendre un savoir et de le produire en position d’autorité, nul embarras à faire que le sujet mis ici en question s’absente pour qu’on s’en prenne à la matière humaine. En route vers la paramécie. La matière du jeune délinquant est segmentée, par tranches d’âges de deux ans, et on la fouille dès sa première année, dès qu’il apprend à parler. La courbe de déviance définit deux modes de lecture simultanés et contradictoires. D’un côté, elle situe (à chaque intersection) un point d’intervention et de « remédiation » possible, et simultanément, par sa trajectoire d’ensemble, elle manifeste clairement qu’aucune de ces « remédiations » ne suffira et que la sortie du droit chemin se poursuivra inéluctablement. La délinquance posée à la fois comme objet et comme destin est là pour légitimer les actions des « intervenants » ; elle fonde l’autorité de l’alliance du répressif et du thérapeutique, forme moderne du contrôle dans notre civilisation. Le diagramme définit l’espace où cette alliance va s’exercer. Dans la marge qui s’ouvre entre le parcours normal et le déviant, dans cet entonnoir gris, le commentaire propose de remplir les cases de tout un bric-à-brac - allant de la marginalisation scolaire aux vols à main armée en passant par la démission des parents, le redoublement de classe, la vie nocturne et la consommation de drogues. Chacun y trouvera ses petits. Le diagramme, surtout, définit le jeune sur lequel s’exercera cette alliance : est délinquant non pas un individu avec son histoire singulière, mais quiconque s’écarte de la norme par une série de « comportements » menant tout naturellement à l’illégalité.

Dès lors, un nouveau régime de pouvoir se dessine. Le sujet y est radicalement pris en « extériorité ». Défini par son comportement, il devient l’objet par excellence du traitement à appliquer. L’évaluation de cette déviance obéit à des coordonnées simples : une forme de transparence règne, une origine est même posée ; cette origine — ladifficulté de la langue — est elle aussi abordée dans un rapport d’extériorité ahurissant : défaite de sa chair, de ce bain de langage dans lequel le petit d’homme est plongé dès sa naissance, de cet « entendu d’avant le sens » (Lacan) qui noue le désir au langage, dépouillée du son, du chant, de l’accent, la langue se trouve sans voix, sans corps, réduite au pauvre fantasme d’un instrument à communiquer de la bonne façon, et de manière univoque. Si donc l’enfant parle avec difficulté, c’est parce que les parents sont « d’origine étrangère ». La difficulté de la languene peut avoir d’autre cause et n’appelle qu’un seul traitement : « Seuls les parents, et en particulier la mère, ont un contact avec leurs enfants. Si ces dernières sont d’origine étrangère, elles devront s’obliger [2] à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer ». Et si le père réticent à devoir se séparer de sa langue d’origine continue d’« exiger le parler patois du pays à la maison », il faudra « dissuader ces mères de le faire ».

Dresser, redresser, évaluer

La gangue dans laquelle l’enfant est pris ne fait que se resserrer davantage, étape après étape. Le rapport préconise une organisation méthodique de la ségrégation, et l’exclusion de tout ce qui sort du « parcours normal ». Le corsetage sévère laisse passer les ombres des méthodes comportementalistes du XIXème et du début du XXème réservées aux « récalcitrants », qui avaient bien des communautés avec la torture. En 1840, François Leuret, au nom de l’efficacité, appliquait des cautères sur la nuque des patients, en 1918, Chavigny prônait la rééducation sous courant faradique et en garantissait le résultat, malgré les accidents et la mise en garde de Freud, les méthodes dites aversives continuèrent à trouver des lieux d’exercice. La violence psychique et physique à des fins de soin, de redressement, de rééducation s’est modifiée mais n’a jamais cessé.

Aujourd’hui le vocabulaire pseudo-scientifique des thérapies cognitivo-comportementalistes (les TCC) retentit dans la rédaction de tels rapports. Prônées pour venir à bout de troubles du comportement, elles s’allient aux médicaments pour ravaler le particulier du symptôme à l’universel du trouble. Le respect de la parole, de ce qui oriente le désir, fût-il appelé hors des sentiers battus, y est hors-jeu. Plus question de tendre l’oreille aux trésors inédits qui se débusquent au joint le plus intime de la langue, plus question de tenter de tracer un bord, au cas par cas, où la pulsion de mort trouve à s’arrimer d’une façon qui ravage moins le sujet et son entourage. Il s’agit de maintenir, par force, cette position d’observation et d’évaluer des dysfonctionnements.

Ainsi lit-on que pour redresser l’adolescent déviant « un contact direct devra être instauré de gré ou par la contrainte avec une personne formée à cet effet pour le soigner ou lui faire choisir un autre chemin que celui qu’il est en train de prendre ». C’en est fini du choix du sujet : ce que l’invention de la psychanalyse avait éclairé du travail d’élucidation du symptôme comme on déchiffre un message codé, devient simple trouble, maigre reste d’un intraduisible de la langue pris dans le corps, pauvre résidu d’une singularité. D’être ainsi dénudée par un savoir pré-établi, rééduquée sans trouver à pouvoir se « bien-dire » avec ses propres mots, cette singularité ici risque de précipiter le sujet en désarroi vers le pire.

La psychanalyse, écrivait Freud en 1925 dans sa préface au livre d’August Aichorn, Jeunes en souffrance,« peut être sollicitée par l’éducation comme un moyen auxiliaire, mais elle n’est pas destinée à prendre sa place [...] car la psychanalyse ne peut être assimilée à une rééducation [...] chez l’enfant en souffrance, chez le jeune carencé et en règle générale, chez le criminel impulsif, il convient de mettre en œuvre une pratique autre que l’analyse, pratique qui convergera toutefois avec elle dans son intention ». Là est le point vif. L’intention. En 1920 Aichorn avait la charge d’un établissement en Autriche, pour jeunes en difficultés, délinquants, cas sociaux. L’accompagnement qu’il y met en place, avec son équipe, au cas par cas, est d’une invention surprenante : là, pas de parcours rectiligne, de savoir pré-établi, de norme à appliquer. C’est dans le lien à l’adulte qui l’accompagne que l’adolescent trouve un engagement de présence et de parole capables de capitonner sa dérive. Cet établissement ne s’appelait pas Besserungsanstalt (centre de redressement) mais Fürsorgeerzihungseinrichtung(c’est-à-dire une installation, Einrichtung, qui a pour but l’Erziehung, l’éducation, mais une éducation qui serait faite dans le Fürsorge, « en vue du souci », donc un lieu installé pour éduquer dans le souci de l’autre) [3].

La démarche de prévention préconisée dans ce rapport est à l’opposé. Au lieu du souci de l’autre, l’évaluation et la surveillance. Il faut que les « troubles comportementaux » soient détectés dès la crèche, étroitement surveillés à la maternelle « si le comportement de l’enfant est indiscipliné et crée des troubles dans la classe », redressés dès l’école élémentaire « entre 10 et 12 ans l’enfant sera placé dans une structure spécialisée d’éducation renforcée si le comportement persiste », pour enfin, « si les faits de délinquance en dehors du milieu scolaire s’accentuent », aboutir à ce que « le placement de l’adolescent soit irréversible ».

Du « secret partagé » au réseau de surveillance

Pour ce faire, le rapport préconise la création d’un comité rassemblant l’ensemble des « acteurs référents intervenant auprès de l’enfant et de sa famille », du pédopsychiatre affecté à l’établissement scolaire au médecin scolaire, du chef d’établissement au conseiller d’éducation, de l’assistante sociale aux représentants du corps enseignant et des parents d’élèves, de la directrice du CCAS au maire de la commune. La violation de l’intime s’appelle ici redéfinition du secret : « il faut redéfinir la notion de secret professionnel et créer une culture du secret partagé ». Elle est la clef de voûte du réseau, présidé par un pédopsychiatre de secteur qui coordonne le dispositif. La toile se tisse, avec, à l’horizon, la conversion des professionnels de la prévention en auxiliaires des politiques locales de sécurité, exerçant, sous l’égide des maires, un contrôle social et policier sur les familles. Le pouvoir dispose d’ores et déjà des leviers économiques nécessaires à ces actions et, viale FAS, les PMI, l’éducation nationale et les municipalités, la surveillance et la prévention de la déviance peuvent étendre leur réseau et allumer des signaux clignotants à chaque écart du jeune.

Traquer le bruissement de la langue et les chemins de traverse qu’emprunte la parole pour nouer un être à son histoire ; empêcher le sujet de forger ses passerelles, de préférer les buissonnières ; contrôler ceux dont le parler n’est pas clair, serrer de près les comportements déviants, ouvrir sans relâche et partout les yeux de la surveillance afin que toute inquiétude s’absorbe et s’évanouisse dans la culture du secret partagé. Réduire les marges ; restreindre, voire supprimer les espaces où le trouble pourrait reprendre valeur de symptôme, où la subjectivité retrouverait la voie d’expériences singulières, où un travail de déchiffrage pourrait s’accomplir, où l’étrangeté et le hors-norme qui font irruption en chaque adolescent seraient accueillis. Préférer définir un traitement, le même pour tous, et ranger sur l’étagère, additionnés dans leur casier, les difficultés de la langue et le comportement indiscipliné enfin réduits au silence, repassés, empesés, sans faux plis. Telles sont les propositions du rapport Bénisti — solutions produites sans qu’aucune question soit posée, aucune réponse construite, le sujet est forclos, le risque en est le naufrage.

On n’en croit pas ses yeux et pourtant ce rapport participe de l’élaboration de la Loi de prévention de la délinquance qui doit être discutée avant l’été. Symptôme de l’indigence parlementaire ? Élément d’un imaginaire commun à la classe politique ? Quelle force oriente ce texte ? Pour être aveuglant, son grotesque n’en laisse pas moins apercevoir comment réduire le vivant à un simple oripeau. Comment, à sa lecture, ne pas penser à Foucault, introduisant son cours sur les Anormaux : « [Ces] discours [...] ont, à la limite, un pouvoir de vie et de mort. Ce pouvoir, ils le détiennent de quoi ? De l’institution judiciaire peut-être mais ils le détiennent aussi du fait qu’ils fonctionnent dans l’institution comme discours de vérité, discours de vérité parce qu’à statut scientifique [...], discours qui peuvent tuer, discours de vérité et discours qui font rire. Et les discours de vérité qui font rire et qui ont le pouvoir institutionnel de tuer, ce sont après tout, dans une société comme la nôtre, des discours qui méritent un peu d’attention. ».
Rapport Benisti Graphique-benisti-3-200x200
« Courbe indicative de déviance »
document extrait du Rapport de la Commission prévention du GESI de l’Assemblée nationale.

http://www.vacarme.eu.org/article480.html
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