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 Ne laissons pas le monopole de la personne au néolibéralisme

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FleurOccitane
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Date d'inscription : 30/04/2005

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MessageSujet: Ne laissons pas le monopole de la personne au néolibéralisme   Ne laissons pas le monopole de la personne au néolibéralisme EmptyMar 25 Oct à 18:48

Citation :

Ne laissons pas le monopole de la personne au néolibéralisme et à sa définition marchande.


L’individu, enjeu de la gauche


de Philippe Corcuff, Jaques Ion, François de Singly sociologues

L’intelligence du réel apparaît en crise dans la gauche française. Dans son réfrigérateur conceptuel, on trouve surtout des formules creuses à tonalité technocratique sur “la nécessaire conciliation de l’économique et du social”, avec ça et là des restes rances d’économisme keynésiano-marxiste. La fin de l’hégémonie marxiste en son sein aurait pu ouvrir une ère intellectuelle de diversification salutaire de ses références. Ce n’est pas ce qui s’est passé : une régression anti-intellectualiste a pris le pas. Les trois pôles constitués jadis par le goût de l’élaboration théorique, par le souci de l’enquête sociale et par l’éducation populaire se sont affaissés. Des médias de plus en plus standardisés et une expertise dotée d’œillères énarchiques triomphent à leur place.

La sociologie, apparue en même temps que l’idéal démocratique et que la société des individus, depuis toujours confrontée à la question sociale, peut proposer quelques repères pour alimenter un renouveau du débat, notamment concernant les processus d’individualisation. Car l’individu se présente encore bien souvent comme un ovni, mal-aimé et incompris à gauche. Ceux qui, sociaux-libéraux, admettent le cours néolibéral, en l’agrémentant de quelques édredons sociaux à la marge, font de l’individualisme un “mal nécessaire” lié à la puissance du marché. Quant à ceux qui récusent le néolibéralisme, ils réduisent fréquemment l’individualisme à un sous-produit de la marchandisation à combattre. Il n’y a guère d’individualistes heureux à gauche.

Pourtant, l’individualisme marchand ne constitue qu’une des composantes de ce phénomène social complexe qu’on nomme “individualisme contemporain”. Sociologiquement, cet individualisme est le produit d’une pluralité de logiques sociales en interaction : avancées de la marchandisation, certes, mais aussi figure politique de l’individualisme démocratique, dynamique juridique des droits individuels ou transformations de la famille et de l’intimité. Contre le nostalgique “c’était mieux avant”, nous pensons que l’individualisme est à l’origine d’acquis émancipateurs : développement d’une autonomie à distance des dépendances héritées, protection des “jardins secrets” de nos intériorités personnelles, mouvement de libération des femmes et nouveaux droits des enfants bousculant les cadres de la famille patriarcale, amorce de reconnaissance des modes de vie homosexuels, progression des marges de choix individuelles dans le cours de nos existences quotidiennes (dans la vie sentimentale, familiale, les loisirs, les repères moraux, etc.), formes plus souples et décentralisées de coordination de l’action collective, etc. Ce qui ne veut pas dire que les dynamiques individualisatrices ne génèrent pas également du mal-être identitaire.

Mais le rôle tout-puissant donné au marché dans l’idéologie néolibérale peut être critiqué au nom même de l’individu, d’un autre individu que l’individu marchand. Par exemple, c’est au nom des droits individuels et de l’équilibre des pouvoirs que les visées hégémoniques du marché sont susceptibles d’être mises en cause dans la tradition du libéralisme politique (à distinguer du libéralisme économique) ; ou dans une logique proche de la défense de l’autonomie personnelle contre les empiétements d’un pouvoir exclusif dans une inspiration libertaire ; ou au nom de la créativité individuelle écrasée par l’enfermement dans une vision pauvrement commerciale de l’individu comme chez Marx ; ou encore dans la perspective d’une articulation entre les exigences d’égalité sociale et les aspirations à la dignité personnelle propre au socialisme individualiste de Jaurès.

Ne laissons pas le monopole de l’individu au néolibéralisme. On peut même avancer que, en interaction avec la contradiction capital-travail, il y a une véritable contradiction de l’individualité au cœur du néocapitalisme : à travers les nouveaux dispositifs productifs et de consommation de masse, le capitalisme nouveau excite les désirs d’individualité, mais il ne peut y répondre que de manière tronquée et frustrante par l’imposition d’une définition marchande de la personne.

La question de l’association de la justice sociale et de l’individualité nous semble alors un chantier majeur pour la gauche. À l’intersection de ces deux dimensions, on trouve un des principaux lieux des écorchures ordinaires des sociétés modernes : les souffrances psychologiques associées à l’inégal accès aux ressources de valorisation de soi. Dans une orientation sociale et individualiste, une nouvelle gauche, échappant à l’attraction du néolibéralisme, aurait à promouvoir des mesures de redistribution des ressources (économiques, culturelles, politiques, etc.), entre classes, genres et générations, comme au profit des minorités discriminées, ainsi que des mesures favorisant la reconnaissance personnelle. Dans un équilibre nécessairement instable, cette gauche à venir devrait prendre garde à privilégier, parmi les mesures favorisant l’égalité, celles se conciliant le plus avec l’autonomie des individus, et inversement, parmi les mesures à prendre pour accroître la dignité personnelle, celles n’augmentant pas les inégalités.

L’individualisme n’interroge pas seulement les orientations programmatiques de la gauche mais aussi ses modes d’organisation. Or, il ne faudrait pas croire, toujours dans une tonalité nostalgique, que l’affaiblissement des groupements verticaux qui, entre associations, syndicats et partis, tissaient un ensemble hiérarchisé, permettant une “remontée” vers la scène politique nationale des revendications issues des mouvements sociaux, signifie “la fin de la politique”. L’émergence et la réinvention en cours, sous l’aiguillon notamment de l’expression des singularités individuelles, de rapports plus diversifiés à l’engagement collectif, nous invitent à envisager d’une autre manière les relations entre des revendications localisées et leur traduction dans la sphère politique. Si les partis et les institutions de la démocratie représentative ont encore un rôle à jouer, ils ne peuvent plus prétendre à exercer une fonction tutélaire.

La gauche saura-t-elle se renouveler intellectuellement et pratiquement, en échappant un moment à la tyrannie des rythmes électoraux de la politique professionnalisée ? La gauche institutionnelle apparaît dans cette perspective bien mal en point, mais elle constitue encore un référent important de notre vie politique. La gauche altermondialiste naissante a su préserver davantage de liens avec la réflexion comme avec le terrain de l’action sociale. Mais elle est également menacée de l’intérieur par certaines tendances régressives, en particulier une rhétorique gauchiste l’enfermant dans un “tout collectif” suranné et dans une dénonciation simpliste du néolibéralisme et des médias appréhendés comme des “complots” maléfiques. Pourtant soudent simultanément de nos sociétés d’individus des désirs de justice sociale et de reconnaissance individuelle...

* Dernier ouvrage paru : Politiques de l’individualisme - Entre sociologie et philosophie (Textuel, coll. “La Discorde”).

http://www.liberation.fr/page.php?Article=331992

De : Philippe Corcuff
samedi 22 octobre 2005

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=19913
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