wapasha Langue pendue
Nombre de messages : 4560 Localisation : Pays des Abers Date d'inscription : 30/04/2005
| Sujet: Il n’y a qu’au billard... Dim 14 Aoû à 15:21 | |
| altermonde.levillage- dimanche 14 août 2005, Mehr Licht Il n’y a qu’au billard...Sans être blanc comme neige, je suis tout de même innocent. - Citation :
- Il fait nuit, tout le monde dort, enfin presque... un pauvre mec tout au bout du couloir vient de hurler sa rage face à la méchanceté des hommes. Mais ce cri ne dérange plus personne ici, car il est aussi fréquent que le ding dong d’une horloge égrenant les heures. Je profite de cette nuit de pleine lune pour vous écrire ce petit mot, qui j’espère vous parviendra. Aussi pour en être sûr, je le donnerai à ma sœur lors de sa prochaine visite, comme ça la lettre ne sera pas lue à la censure. Vu le peu de lumière éclairant mes quelques feuilles chiffonnées je sais d’avance que vous pardonnerez mes fautes. Car faut pas croire, en douze ans j’ai tellement lu de bouquin à la petite bibliothèque de la prison, que j’écris maintenant presque sans fautes.
e suis détenu depuis douze ans dans une prison de l’Illinois. Pendant dix ans comme condamné à mort, ils m’ont dit que cela serait peut-être bien mon tour demain matin. Après ils m’ont dit qu’ils ne savaient plus... pis d’un coup, en janvier 2003, j’ai appris qu’un certain George Ryan, un gouverneur républicain, un type de l’Illinois, comme ma pomme, venait de commuer en prison à vie la sentence des condamnés à mort de son État. Depuis deux ans je me dis que je vais peut-être mourir à 75 ans comme la plupart des gens. Au moins, je peux enfin dormir en paix sans entendre s’ouvrir la porte de la cellule d’un voisin de la mort, en croyant que c’était la mienne et où les "screws" hurlaient « Prépare-toi c’est aujourd’hui. » Bien justement, aujourd’hui le couloir de la mort a changé de nom. À perpette qu’ils l’appellent maintenant. Chouette ! Oui chouette ! Car même en taule, vivre devient merveilleux quand pendant dix ans on attendait la mort de jour en jour. Pas coupable que je suis. Aussi, aurai-je maintenant le temps de prouver mon innocence ? Peut-être ? Mais au moins je vis avec l’espoir, c’est déjà ça.
Comme disait Yasser Arafat, « L’espoir il n’y a que ça. » Lui aussi il était prisonnier dans la Moukatta, et il n’était pas coupable... Ha ! Vous voyez, même en prison je suis au courant des nouvelles... j’ai que ça à faire, m’informer. Au début, avec ma peau noire, je me suis demandé si cela allait aussi s’appliquer à moi cette commutation ? Fallait se méfier. Nos chers gardiens faisaient exprès de tenir « leurs sales nègres » dans l’ignorance. Ça les faisait jouir ces salauds. Même certains taulards blancs nous disaient « Vous les nègres si l’États ne vous tue pas on s’en chargera » ! Pis ils se marraient. Vous voyez, même en taule les racistes font loi. La soi-disant solidarité entre prisonniers, on voit ça que dans les films.
Je suis innocent quand même les gars, même si l’on me traite de « fuck’n nigger », même si je ne dois plus mourir... Eh ! Oh ! Je suis innocent ! Ce n’est pas moi qui ai tué et violé cette blonde, c’est un gros blanc je l’ai vu, je l’ai déjà dit lors de mon procès. « Il n’y a qu’au billard que ma queue se tape une blanche monsieur le juge. » Personne n’a rigolé, sauf moi. Je crois même que l’avocat que l’aide juridique m’avait attribué ne m’a pas cru. Au moins cet avocaillon blanc aura le temps de s’enrichir avant de trouver une bonne raison pour que je sorte d’ici. Les avocats sont tous pleins aux as dans ce pays... tout le monde poursuit tout le monde pour un oui ou pour un non. Que tu gagnes ou que tu perdes un procès, cela n’empêche pas ces champions de la plaidoirie de s’enrichir.
Les Américains ne sont pas tous d’accord avec le gouverneur républicain de l’Illinois George Ryan. Dans la tête des républicains d’extrême droite, et ils sont nombreux, seul George W. Bush détient la vérité. La peine de mort reste le seul moyen pour dissuader les criminels, pensent-ils. Doit-on tuer le crime en tuant le criminel ? Bush le croit et ses partisans l’encouragent. C’est ça l’Amérique, depuis que cet illuminé la dirige. Ryan subira-t-il un jour les foudres du bourreau en chef des États-Unis pour avoir pris semblable décision ? Faut tout craindre de ce fou furieux. Car Bush, cet ancien gouverneur du Texas, dont cet état détient le record des condamnations à mort et des exécutions, avait toujours refusé de gracier un condamné ou de commuer sa peine. Ce président qui nous rabâche les oreilles avec son dieu... de quel dieu s’agit-il ? Du dieu Mars ? Du dieu des enfers ? En tous cas un dieu barbare et guerrier. Je crois que Bush a trouvé sa solution pour atteindre la paix. Tuer tous ceux qui le dérangent, où que ce soit. C’est ce qu’on appelle une Bush-erie. « Si quelqu’un a commis un crime il ne travaillera plus dans mon administration. » vient de dire ce fort en gueule. Eh ben mon vieux ! Il devrait être le premier à se foutre à la porte de la Maison Blanche, parce que des mensonges et des crimes à son actif ce n’est pas ce qui lui manque à cet envahisseur qui n’a de cesse de piller le territoire des autres.
Durant l’été, quand la petite fenêtre de la cellule est ouverte, je nourris les petits oiseaux avec des graines de pain que je dépose sur la minuscule corniche bordant les barreaux de notre piaule. Certains chantent et c’est si joli. Ils chantent même avant une exécution... Ils chantent aussi pendant et après. Ils ne savent pas que chanter quand on tue, cela n’est pas bien. Je me souviens de mon voisin de cellule qui me disait souvent « J’aimerais être un petit oiseau pour foutre le camp d’ici... ». Avant d’aller rejoindre cette saloperie d’injection fatidique, les avait-il entendus ? Je ne suis pas sûr... Il ne devait pas avoir la tête à ça. Pas de pépiement pour le condamné à mort. Savez-vous que plus d’un million et demi de personnes sont actuellement détenues dans les prisons des États-Unis ? La barre symbolique du million pour les seules prisons fédérales et celles des États avait été franchie en juin 1994. Plus précisément, 1 012 851 personnes (l’équivalent de la population de Dallas) étaient incarcérées dans ce pays de 260 millions d’habitants, soit un Américain sur deux cent soixante, un adulte sur cent quatre-vingt-treize. Pis cela augmente toujours. Je suis bien placé pour le savoir, car j’étais seul dans ma cellule et maintenant nous sommes trois. Et vous pouvez me croire, à la longue ça pue la merde des autres. On ne s’y habitue jamais. Et puis aux quelques 1 100 000 détenus des prisons fédérales et de celles des États, il faut ajouter les 500 000 des 3 304 prisons locales et cellules de police dépendant des comtés et des municipalités où se trouvent les personnes en attente de jugement ou condamnées à de courtes peines et dont le nombre a doublé en dix ans. (Chiffres du département de la justice, cités par l’agence Associated Press, 1er mai 1995).
Pour en revenir au racisme, vous ne savez peut-être pas qu’en 1992, les Noirs représentaient près de 48 % de la population pénale condamnée à plus d’un an, soit un taux de 2 678 pour 100 000 habitants, environ huit fois plus élevé que pour les Blancs. Pis cela non plus ça ne diminue pas. Le taux maximum, 6 301 pour 100 000, étant atteint pour les hommes noirs de vingt-cinq à vingt-neuf ans. Autrement dit, 6,3 % des jeunes Noirs américains purgeaient une peine supérieure à une année de prison. Ce pourcentage, déjà le plus important toutes catégories en 1980 avec 3,5 %, met en évidence sur quelle population s’exercent les choix répressifs de la société américaine. Pis y en a qui osent appeler les États-Unis le pays de la liberté. Même mes frères noirs qui ne sont pas en taule se sentent emprisonnés sur cette soi-disant terre d’accueil.
La prison n’est, pour la majorité des détenus, que la machine à exclure une population à faible niveau de formation et ayant des problèmes psychosociaux majeurs, où les difficultés d’intégration tiennent une place essentielle. Il est révélateur à cet égard que l’inflation carcérale ait pour cause première la façon dont nos sociétés répondent à la toxicomanie et à l’immigration illégale. Chez nous, aujourd’hui, tous les « coloured man » ou ceux qui ont un blase à consonance latino ou arabe sont devenus suspect chez les bons penseurs. Les murs des prisons protègent les citoyens d’abord de leurs peurs, et ce n’est pas Bush qui voit des terroristes jusqu’à dans sa soupe, qui s’emploiera à diminuer les frayeurs des américains. Avant la venue de Bush à la présidence, les étrangers voyaient encore dans l’Amérique un territoire d’accueil. Ben j’espère que maintenant ils vont changer d’opinion, car cette Amérique là a disparu. Elle est devenue le pays des pro vie, des évangélistes assistant au temple toutes les semaines aux discours fanatiques de leurs « Preachers », qui du haut de leur « stage » et entourés de clowns déguisés chantant des psaumes, les abrutissent de plaidoyers ultra conservateurs et racistes. Cette Amérique est aussi devenue la terre des laissés pour compte, de ceux qui ont peur de perdent leurs emplois, de ceux qui n’ont pas d’assurance maladie et qui s’endettent pour se faire soigner, des parents s’occupant d’un fils mutilé en Irak, de tous ceux qui ne jurent que par le « Super Bowl » et des finales des ligues majeures de base-ball, où la majorité des joueurs ont la peau noire. On les accepte les « nègres » quand il s’agit de s’amuser. Enfin la nation de ceux qui admirent les films de violence distribués à pleines salles et qui en sortent rassurés d’avoir vu leurs héros anéantir l’ennemi. Les autres, les artistes, les scientifiques, les écrivains, les philosophes, ceux qui ont écrit les plus belles pages de cette Amérique, plus personne n’en parle. Cette Amérique là, on n’en rêve peut-être plus mais elle existe pourtant et elle a dit oui encore une fois à G.W.Bush. C’est triste hein !
Comment mes compatriotes ont-ils pu voter pour Bush ? Ils ne lisent certainement pas les mêmes nouvelles que moi. Cet homme leur a menti et ils lui donnent un nouveau mandat. D’autant que Bush a fait plus que gagner ses élections, il a consolidé l’emprise du courant ultraconservateur sur la vie publique des Américains pour de nombreuses années. Pour changer cela, il va falloir que sorte de l’ombre un super démocrate qui saura lui aussi faire vibrer la corde sensible religieuse du peuple et s’entourer de médias qui lui seront favorables. Mais il faut que je m’arrête les copains, je suis là que je m’emballe... cela m’a fait du bien de vous dire ces choses.
C’est de ma petite cellule que j’écris cette lettre à mes frères de France, aux taulards et à tous ceux qui subissent la répression des racistes. Comme je vous le disais, en prison on a le temps de s’instruire quand on le veut et j’ai appris que chez vous aussi, les gens d’origine africaine et arabe subissent de plus en plus le fanatisme de certains racistes. Des deux côtés de l’Atlantique, nous n’avons malheureusement pas les gouvernements pour nous aider dans notre quête d’égalité ethnique. De toutes façons il faut poursuivre notre combat, même en taule, car la ségrégation, cette haine de l’autre est la plaie de l’humanité.
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