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| Les grandes surfaces (a lire absolument) | |
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wapasha Langue pendue
Nombre de messages : 4560 Localisation : Pays des Abers Date d'inscription : 30/04/2005
| Sujet: Les grandes surfaces (a lire absolument) Dim 26 Juin à 14:29 | |
| altermonde.levillage- samedi 25 juin 2005, Pascale Fourier UNE ÉMISSION PROPOSÉE ET PRÉSENTÉE PAR PASCALE FOURIER SUR ALIGRE FM 93.1 EN RÉGION PARISIENNE Les grandes surfaces - Citation :
EMISSION DU 9 AVRIL 2004
Avec Christian Jacquiau, Economiste, auteur de "Les coulisses de la grande distribution", éditions Albin Michel.
Pascale Fourier : Notre invité aujourd’hui....
Christian Jacquiau : Christian Jacquiau. Je suis économiste, et je suis l’auteur d’un livre qui s’appelle « Les coulisses de la grande distribution » qui a été publié chez Albin Michel il y a quelque temps, 4 ans déjà, 8eme édition aujourd’hui.
Pascale Fourier : Alors là, il faut l’avouer, cette émission est due à un petit coup de colère, parce que, en passant dans les rues, sur la route, je voyais de magnifiques grandes affiches sur lesquelles il était marqué : « Mieux consommer, c’est urgent » et c’était signé Monsieur Carrefour. Alors, je me suis quand même posé un peu des questions.... Mieux consommer préconisé par Carrefour, c’est vraiment possible ?
Christian Jacquiau : Bien oui c’est possible, surtout pour Carrefour, parce qu’il y a un petit tassement du chiffre d’affaires, donc il a besoin que l’on consomme, je ne sais pas si c’est « mieux », mais en tout cas « plus, » plus pour lui puisqu’on voit bien qu’aujourd’hui il y a un tassement de la consommation et du pouvoir d’achat. Donc il a intérêt à nous solliciter pour qu’on consomme toujours d’avantage.
Pascale Fourier : Oui mais consommer, mieux consommer, c’était le mieux qui m’interrogeait un peu.
Christian Jacquiau : Ca répond effectivement a une attente ! On voit bien aujourd’hui qu’il y a pas mal d’interrogations... C’est vrai qu’on se pose des questions sur la qualité de ce que l’on consomme, sur la traçabilité etc... Donc je pense qu’ils emboîtent le pas sur cette démarche, cette attente du consommateur. Aujourd’hui Carrefour est aussi dans le « développement durable », il est dans le commerce équitable, dans toutes les tendances du moment...
Pascale Fourier : Donc c’est bien, il a bien raison de préconiser ça ?!!
Christian Jacquiau : Alors, je crois qu’il a d’excellents communicants effectivement, qui sont derrière et qui vont dans le sens du vent, tout à fait.
Pascale Fourier : Mais est-ce qu’il n’y a pas derrière Carrefour par exemple des pratiques qui laisseraient penser que ce n’est pas forcement mieux consommer ? Enfin, Carrefour ou un autre, parce que c’est n’est pas une attaque spécifique contre Carrefour....
Christian Jacquiau : Non, c’est propre à toute la grande distribution. Et quand on dit « grande distribution », ce n’est pas seulement le format du magasin, ce n’est pas l’hypermarché, c’est aussi le supermarché, la superette. Effectivement, des pratiques tout à fait condamnables, puisqu’il y a ce fameux mécanisme que dénonce d’ailleurs un de ces concurrents, Leclerc, « les marges arrières », qui font qu’on exerce une pression énorme sur le monde agricole, sur le monde des entreprises avec effectivement, un mécanisme qui détruit sur son passage tout l’aspect humain de l’économie.
Pascale Fourier : Et « marge arrière » ?...
Christian Jacquiau : Marge arrière ? C’est tout simple. On va prendre un exemple. Quand vous, quand un consommateur achète un produit 100, il a été payé 90 ou 95 au fournisseur, ce qui permet à la grande distribution de dire : « Nous ne sommes pas chers, vous voyez bien que l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente, n’est pas très important, il faut bien qu’on vive, qu’on paye nos salariés, nos charges etc... ». Et puis une fois ces 90 ou 95 négociés auprès du fournisseur, on revient en arrière, en disant au fournisseur : « C’est bien, vous nous avez négocié un prix très intéressant, mais maintenant, vous nous devez de l’argent. Et vous nous devez de l’argent pour un certain nombre de raisons qui sont : les mises en avant, les têtes de gondoles, les promotions etc ». Il y a 10 ans, ces marges arrières, cela représentaient 10%, 10% du prix du produit. Et on criait au scandale en disant : « Ca va faire des délocalisations, des plans sociaux, beaucoup de chômage ». Puis aujourd’hui on arrive à des taux de marges arrière de 40 à 50%, ce qui fait qu’on ponctionne complètement la substance de l’entreprise. Et finalement, c’est le consommateur qui finit par payer ces marges-arrière.
Pascale Fourier : Je n’ai pas bien bien réussi à comprendre ce que c’était, les marges arrières. Vous voulez dire que les producteurs payent pour la publicité, pour être mis en tête de gondole ?...
Christian Jacquiau : Oui. C’est-à-dire qu’une fois qu’ils ont vendu leur produit, on leur dit : « Maintenant, ce n’est pas tout, si vous voulez que votre produit soit mis en valeur dans nos rayons, par exemple en tête de gondole, (vous savez les têtes de gondoles, ce sont ces espaces en tête de rayons ; quand on met un produit en tête de gondole, on le vend deux fois plus que si le même produit est au milieu du rayon), et donc, on va dire au fournisseur : « Je vous mets en tête de gondole, je vais vous faire figurer, même si vous ne l’avez pas choisi, dans ces catalogues qui inondent au quotidien nos boîtes à lettres. Et donc pour vous avoir fait figurer dans ces catalogues, je vais vous demander de l’argent ; je vais vous mettre en avancée de caisse, c’est-à-dire très proche des caisses, pour pouvoir être à proximité du consommateur quand il attend pour payer, je vais faire de la promotion etc... ». Il y a plus de 500 raisons qui ont été mise en évidence par nos parlementaires, et toutes ces raisons font qu’on va demander ici 2%, 3%, 4% de plus au fournisseur, en plus donc de remises par rapport au prix qui a déjà été négocié.
Pascale Fourier : Mais de toutes façons, il s’en tire quand même le producteur... Je ne vois pas le problème réel...
Christian Jacquiau : Il s’en tire de moins en moins... Aujourd’hui dans un prix il y a deux grandes masses : la rémunération de celui qui fabrique ou qui produit, et la rémunération de celui qui distribue. Comme le distributeur veut toujours la part la plus importante du gâteau, il y en a de moins en moins pour celui qui fabrique ou qui produit. Ce qui veut dire qu’on va comprimer le coût. Et dans le coût il y a quoi ? Soit de la matière première, soit de la main d’œuvre. Evidement les matières premières sont déjà comprimées au maximum ; la seule variable possible, c’est les charges sociales, ce sont les salaires, et donc on va jouer sur ce poste-là, ce qui veut dire qu’on va encourager les délocalisations, la déinsdutrialisation etc...
Pascale Fourier : Vous dites que finalement, les pratiques de la grande distribution amènent à des délocalisations... Je trouve que c’est un peu raccourci, comme pensée.
Christian Jacquiau : Comme je disais tout à l’heure, dans un prix, il y a deux grandes masses : la rémunération de celui qui va distribuer, donc l’hypermarché, et la rémunération de celui qui fabrique. On sait bien que le pouvoir d’achat n’est pas extensif, et comme le supermarché, l’hypermarché, la centrale d’achat veulent toujours plus, une part plus importante du gâteau, finalement on se retrouve avec de moins en moins pour ceux qui produisent ou ceux qui fabriquent. Ca veut dire que côté agricole, on va coller une pression telle qu’on va pousser, d’abord à une agriculture productiviste, intensive, où l’humain ne va pas avoir sa place : on a aujourd’hui, en France, pays des droits de l’homme, dans le Sud de la France, des gens qui cueillent des fruits dans des conditions d’esclavage ! Et puis dans les entreprises, on va mécaniser à outrance pour essayer de réduire le plus possible la masse salariale, les salaires, les charges sociales. Et quand on n’y arrive pas, la seule solution, c’est de délocaliser. Ce qui veut dire, que cette grande distribution, qui veut toujours plus dans le prix d’un produit, eh bien finalement encourage effectivement à délocaliser. Et quand on ne veut pas le comprendre, elle impose à ses fournisseurs de se délocaliser, en disant soit vous vous délocalisez, soit je ne travaille plus avec vous parce que je veux des prix toujours plus bas. Donc c’est vraiment un accélérateur ! Je ne dis pas que la grande distribution est responsable de toute la mondialisation, de toutes ces pratiques, mais en tout cas, c’est un accélérateur de ces pratiques de délocalisation.
Pascale Fourier : Vous disiez dans votre livre en plus de cela, qu’il y avait des pratiques qui tendaient à imposer de payer avec retard...
Christian Jacquiau : Oui, c’est vrai, qu’il y a pas mal de petites misères. Quand on parle de marges arrière, en fait, c’est un tout. Et notamment, vous savez en France, il n’y a plus que 5 centrales d’achats. C’est assez étonnant. Mais simplement 5 centrales d’achats qui contrôlent l’ensemble du marché. 90% des produits de consommation courante que nous consommons passent par ces 5 centrales d’achats. Et donc ces gens finalement, si on prend l’exemple un petit peu d’un sablier, vous savez ce sablier qu’on retourne pour faire cuire les œufs, eh bien c’est comme si vous vouliez faire passer par le haut 70 000 entreprises, 400 000 exploitations agricoles qui essaient de rejoindre tout en bas 60 millions de consommateurs. Et au point le plus étroit, vous avez 5 centrales d’achat qui vous disent : « Vous payez ou vous ne passez pas ». Et donc, ces gens sont des points de passages obligatoires. Aujourd’hui quand vous fabriquez quelque chose, peu importe le produit, le seul débouché possible, c’est finalement la grande distribution. Et donc, ils vont jouer sur la durée des paiements. Vous les livrez, et puis ils vont vous payer à 30, 60, 90 jours, 120 jours, parfois beaucoup plus. Vous savez qu’on a parfois des conditions sur la route assez difficiles, du brouillard, du verglas, de la pluie, des accidents ; quand un camion arrive en retard c’est un camion gratuit. ¼ d’heure de retard, c’est un camion gratuit. Ou il repart à l’usine à plein et il sera pas déchargé, ou il est abandonné sur place.
Pascale Fourier : Vous voulez dire que l’hyper marché oblige le producteur à lui abandonner ...
Christian Jacquiau : Oui, voilà, le camion devait arriver à 8 heures, il est arrivé à 8h15, eh bien c’est ¼ d’heure de trop, et la pénalité c’est de dire : « Ce camion aujourd’hui sera gratuit ». Ca, c’est donc la pénalité. Et dans les autres cas, bien sûr, les camions arrivent quand même à l’heure, sont payés ; les livraisons sont payées bien sûr, mais avec un décalage énorme. Regardez d’ailleurs quand vous allez dans un hypermarché, vous verrez qu’il n’y a pas de grenier, pas de marchandises en stock au grenier, il n’y a pas de sous-sol non plus, et si vous faites le tour à pied d’un hypermarché, vous verrez qu’il n’y a pas d’aire de stockage. Les murs que vous voyez sont les murs extérieurs, donc toutes les marchandises sont soit sous vos yeux, soit quelque part chez le fournisseur, soit quelque part sur la route entre le fournisseur et le point de vente. Ce qui veut dire que les marchandises sont approvisionnées, mises en rayons, vendues, mises en rayons à nouveau, etc, un certain nombre de fois alors qu’elles ne sont payées qu’à 30, 60, 90 jours, voire beaucoup plus. Et cet argent sert effectivement, est réinjecté dans les circuits financiers, sert à financer une foule de choses.
Pascale Fourier : Vous parliez justement dans votre livre, d’une espèce de flux tendu entre le producteur et le distributeur, dans le sens où il y a même une interconnexion des ordinateurs et une espèce de réapprovisionnement automatique on pourrait dire.
Christian Jacquiau : Oui, tout a fait ! C’est une connexion véritable entre la caisse enregistreuse de la caissière quand vous passez en caisse et les ordinateurs du fournisseur. Vous passez avec un paquet de pâtes de 250 grammes en caisse, eh bien on dit au fournisseur : « Je viens de vendre à l’instant-même, à la seconde près, un paquet de pâtes et donc vous allez devoir me réapprovisionner ». Donc ça c’est en temps réel, il n’y a plus d’intervention humaine, ce qui empêche d’ailleurs les fournisseurs de négocier, puisque finalement la commande se génère automatiquement.
Pascale Fourier : Mais c’est quand même très très bien les hypermarchés c’est même une nécessité !! Que monsieur Carrefour pressurise monsieur Panzani, a la limite, cela m’importe peu....
Christian Jacquiau : Oui, moi aussi d’ailleurs, moi aussi, si ce n’est que chez Monsieur Panzani ou une autre entreprise, il y a des salariés, il y a des gens qui attendent un travail et des jeunes qui attendent un futur etc. Ces pratiques font qu’effectivement il y a de moins en moins de gens sur la terre pour cultiver, de moins en moins de gens dans l’industrie puisqu’on ferme une foule d’usines, d’ateliers etc. Et donc, si on regarde bien, il y a de moins en moins de cotisants. Et aujourd’hui où on remet en cause la protection sociale, en disant : « Il n’y a plus de sous pour les retraites », quand demain on va nous dire : « Il n’y a plus de sous pour la santé », quand on va vous dire aussi : « Il n’y a plus d’argent pour les services publics »... Il n’y a plus de cotisants, il n’y a plus personne sur la terre, plus personne dans les usines, la France devient une véritable friche industrielle, comme elle est devenue friche agricole ou friche commerciale. Donc cela va bien au-delà, je dirais, de ce que l’on peut imaginer... Ce n’est pas le rapport petit commerce/grand commerce le problème,- qui personnellement ne m’intéresse pas beaucoup-, c’est de voir que ces pratiques effectivement, laminent l’emploi, laminent tout ce qui est derrière dans l’envers du décor. Donc, il ne s’agit pas de pleurer sur le sort de Danone ou Nestlé ou les autres, mais de bien comprendre que derrière ces pratiques, eh bien c’est vrai que l’on va effectivement pousser à délocaliser, à des pertes d’emploi etc. Et que derrière bien sûr il y a une incidence sociale, et environnementale également. La suite en dessous :
Dernière édition par le Dim 26 Juin à 14:30, édité 1 fois | |
| | | wapasha Langue pendue
Nombre de messages : 4560 Localisation : Pays des Abers Date d'inscription : 30/04/2005
| Sujet: Re: Les grandes surfaces (a lire absolument) Dim 26 Juin à 14:29 | |
| La suite : - Citation :
- Pascale Fourier : Encore une fois je me disais : « Mais ils sont quand même très très très nécessaires ces hypermarchés, en particulier, pour citer des marques, des ED et des Leader Price qui ont pour vocation de permettre à ceux qui sont les plus pauvres parmi nous de pouvoir manger, manger simplement peut-être... »....
Christian Jacquiau : Eh bien je crois même que cela sera de plus en plus nécessaire, puisque les mastodontes de la distribution nous appauvrissent de plus en plus et que donc répondent par un format différencié de commerce à cet appauvrissement, c’est-à-dire qu’il vont détruire l’emploi, ils vont détruire tout le lien social etc... et puis ensuite se dire : « Dans le fond, les gens ont besoin de manger, c’est vrai, et donc je vais répondre à cette attente des plus pauvres par un nouveau format de commerce ». On ne dit pas des commerces pour pauvres, on parle de hard discount bien sûr ! Et « hard discount », ça veut dire quoi ? Ca veut dire pression encore plus importante sur les fournisseurs, encore plus importante sur le monde agricole ! Il ne s’agit pas, pour les grands distributeurs de renier leurs marges, bien entendu, surtout pas, mais c’est de dire : « Eh bien, on a besoin de prix bas, donc on va demander encore plus, exiger encore plus ». Ce qui veut dire que, on va jouer sur quoi ? Encore une fois sur l’emploi, donc de plus en plus de gens mis à la marge, de plus en plus de laissés pour compte. Et donc évidemment, de plus en plus de pauvres. Et ça tombe bien puisque la grande distribution répond justement à cette demande.
Vous savez les prix bas, c’est un peu un mythe, si on regarde, en 1949, quand Edouard Leclerc, donc le père de Michel Edouard, a lancé son premier libre service, ce n’était pas une grande surface à l’époque, c’était un tout petit magasin, 50 m2. Eh bien, il y avait un rapport de 1 à 4 : quand le consommateur achetait 1 kilo de pommes 4 francs, il avait été payé 1 Francs à l’agriculteur. On disait : « Ce n’est pas normal, il y a trop d’écarts, ce n’est pas logique !! ». Et puis il y avait également beaucoup trop d’intermédiaires ; on disait qu’il y avait entre 10 à 12 intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Cinqaunte ans après, ce dont on se rend compte, c’est que lorsque vous achetez 1 kilo de pomme 10 francs, 12 F, il a été payé 1 F ou 1.5 F à l’agriculteur. Ca veut dire que l’écart est encore bien plus important qu’il était en 1949, avec au passage, la qualité qui a baissé bien entendu, et le choix aussi qui s’est restreint. Et donc, ce dont on se rend compte, c’est que le consommateur paye 3 fois : Il paie une première fois quand il passe à la caisse de l’hypermarché, au prix fort, puisque 1 kilo de pommes à 12 F payé 1 F à l’agriculteur, ce n’est pas « pas cher », c’est très cher. Mais ce n’est pas suffisant. Avec 1 F, 1.5 F, l’agriculteur ne va pas s’en sortir. Et donc, on va demander au consommateur de mettre à nouveau la main à la poche, d’envoyer de l’argent à son percepteur, qui l’enverra à Bruxelles, et qui via la PAC, la fameuse Politique Agricole Commune, renverra de l’argent à nos paysans, donc l’argent que leur refusent finalement les centrales d’achat des hyper marchés. Ca veut dire qu’on va encourager un type d’agriculture, intensif, extrêmement productiviste etc. Donc de moins en moins de paysans sur la terre. On va encourager ce qu’on appelle les chasseurs de primes. Et il y aura de moins en moins de gens sur la terre. De la même façon dans les entreprises, on le voit bien, des plans sociaux des délocalisations... Ce qui veut dire que les laissés pour compte de ce libéralisme-là sont toujours plus nombreux, et que donc on va demander au consommateur, quand il a la chance d’avoir encore un bulletin de paye, là encore de mettre la main à la poche, via les prélèvements sociaux, pour prélever toujours plus, pour finalement toujours moins de social, puisqu’on va lui demander à lui, consommateur, de réparer les dégâts sociaux qu’occasionnent ces pratiques. Ce n’est pas Carrefour, ce n’est pas Auchan, ce n’est pas Leclerc qui vont payer bien sûr ! Ce sont donc les consommateurs.
Et ça c’est pour les coûts directs ! Si on regardait les coûts cachés, on verrait qu’il y a effectivement la réparation des dommages environnementaux. Quand on encourage un certain type d’agriculture intensive , eh bien c’est vrai qu’on va polluer les sols et handicaper lourdement les générations futures. Tout ça, on s’en moque complètement ! Même si un jour il faudra réparer tout ça ! Donc il y a tous les coûts cachés, tous les coûts induits qu’on ne mesure pas et qui sont énormes.
Pascale Fourier : Pourquoi les producteurs finalement ne dénoncent-ils pas cet état de fait ? Parce que je ne vois pas de grandes manifestations de producteurs, de carottes par exemple...
Christian Jacquiau : Non, parce qu’on a inventé quelque chose d’assez génial qui est la PAC. On dit : « Il y a des gens qui se comportent en voyous, c’est vrai qu’ils vous saignent aux quatre veines, mais ne vous inquiétez pas, on va réparer les dégâts ». Donc, on laisse faire, on laisse faire la grande distribution qui pressurise... Vous savez les paysans aujourd’hui sont devenus de véritables sous-traitants du monde de la grande distribution. Mais en fait tout ce que ne leur donnent pas, leur refusent les centrales d’achats, finalement on se dit que c’est le contribuable qui va le compenser. Et comme c’est noyé dans la masse des transferts fiscaux, finalement, ça ne se mesure pas trop. Et tout va bien, le consommateur ne s’en rend pas compte. Le consommateur paye plusieurs fois mais ne le ressent pas. Comme ce n’est pas direct, eh bien finalement, on ne le ressent pas. Et donc les paysans, vous le voyez, ne se plaignent pas forcément. Mais ce qui va se passer par contre, c’est que comme on remet en cause la PAC (Politique Agricole Commune) et qu’on dit qu’on va arrêter de subventionner l’agriculture, il va bien falloir un jour que l’agriculteur vive de son travail, des fruits de son travail et arrête d’être subventionné comme c’est le cas aujourd’hui.
Pascale Fourier : Et pourquoi il n’y a pas à ce moment-là, de grandes manifestations, de producteurs de bonbons, ou autre chose, de gens qui ne seraient pas agriculteurs ?...
Christian Jacquiau : Parce qu’ils n’en ont déjà plus les moyens ! Aujourd’hui il n’y a plus que 5 centrales d’achat ; quand vous faites des bonbons, d’abord vous n’êtes pas sûr d’être référencé dans les cinq, -je dis il n’y en a que cinq c’est vrai, mais vous n’avez peut-être qu’un seul, voire deux réseaux, vous êtes dans un ou deux réseaux, pas forcément dans les cinq. Et puis si vous manifestez, d’abord je ne suis pas sûur qu’il y ait beaucoup de monde avec vous, pour défendre votre cause. Et ensuite la sanction immédiate, c’est le déréférencement ! Il y a eu des gens qui se sont plaint. Quand Lionel Jospin en 2000 a parlé des marges arrière à la télévision, il y a des fournisseurs qui se sont crus autorisés à répondre à des journalistes, qui ont parlé des marges arrière, et qui, pour en avoir parlé, ont été déréférencés. C’est-à-dire que le lendemain matin, on leur dit : « Voilà, il ne fallait pas parler des marges arrières, vous avez osé le faire, maintenant vos produits vous les gardez, on n’en veut plus ». C’est ça, la sanction !!
Pascale Fourier : « Référencer », ça veut dire quoi ?
Christian Jacquiau : Ca veut dire que quelque part, quand vous avez un produit, eh bien on va vous demander de l’argent pour figurer sur les rayons des hypermarchés. J’ai pris dans le bouquin l’exemple de quelqu’un qui produit des tablettes de chocolat et qui a dans sa gamme cinq variétés. Chocolat noir, blanc, au lait, aux noisettes, aux amandes. Eh bien pour figurer sur les rayons des supermarchés, il faut qu’il soit référencé, ça veut dire qu’il faut que les chefs de rayon quand ils commandent du chocolat aient quelque part sur un listing une ligne qui corresponde à chacune de ces cinq tablettes de chocolat. Ou bien il y a une ligne effectivement qui existe, et donc le chef de rayon peut commander, il n’y a pas de soucis, ou il n’y a pas de ligne, le produit n’existe pas, on ne peut pas le commander. Donc on va demander au fournisseur de payer entre 800 F et 1000 F par variétés de produit par supermarché. Entre 3000 à 5000 F, toujours par variété, par hypermarché. Si j’ai dans ma gamme cinq variétés de tablettes au chocolat, donc une noir, blanc, au lait, aux noisettes, aux amandes et en face de moi un réseau qui a 200 supermarchés et 1000 hypermarchés, eh bien je dois faire un chèque de 12 millions pour être référencé ! Ca ne veut pas dire qu’on va m’acheter mes produits, peut-être qu’on va me les acheter passionnément, à la folie, peut-être pas du tout, je n’en sais rien encore... en tout cas c’est le prix à payer. Voilà ! Et à l’inverse, si vous osez parler de ce sujet, eh bien on vous déréférence, du jour au lendemain, on vous dit : « Vous n’existez plus, on ne vous connaît plus », c’est la sanction.
Pascale Fourier : Vous nous avez tout à l’heure dit le mot « parlementaire » en parlant des problèmes de la grande distribution. En effet les parlementaires se sont penchés à un moment sur toutes ses pratiques qu’ils ont dénoncées. Mais visiblement il n’y a rien qui a bougé, enfin ça n’a pas l’air d’avoir mis en branle des mesures qui tendaient à annihiler ce genre de pratiques... Pourquoi ?
Christian Jacquiau : Non, ça fait des années que les hommes politiques prétendent légiférer. Et en fait ça fait des années qu’il ne se passe rien. Ca a commencé avec les fameuses lois Royer, déjà en 1973 et un petit peu plus tard avec les fameux rapports Charrier. Rapports en 1993 et en 95. Jean-Paul Charrier donc, député du Loiret, député RPR, et puis ensuite avec l’alternance, Jean Yves Le Déaut, député socialiste qui a repris le flambeau. Il y a eu 3 rapports parlementaires extrêmement bien documentés qui ont été déposés sur le bureau du président de l’Assemblée Nationale. Et chaque fois, ces projets de lois ont été vidés de leur substance, et finalement on se rend compte que l’homme politique n’a pas trop envie de se fâcher avec ses amis de toujours... On sait bien que malheureusement il y a eu le financement des partis politiques de la part de la grande distribution, à gauche comme à droite, surtout à gauche d’ailleurs. Et finalement l’homme politique a l’air de ne pas avoir envie de se fâcher avec ses gens-là. Donc on prend des demi-mesures, mais des mesures qui finalement n’aboutissent à rien, ne contrarient en rien en tout cas ces pratiques de marges arrière. Aujourd’hui Renaud Dutreil nous dit qu’il va prendre des mesures. Il constate dans une excellente note qui porte son nom, une circulaire, que les marges arrière sont de 40 à 50%. Il nous dit qu’il va se fâcher, mais dans le même temps il nous dit qu’il va faire passer les marges arrière, d’arrière en avant au rythme de 1 ou 2 % l’an, ce qui veut dire qu’il faudra entre 25 à 50 ans pour régler le problème... Donc sachant que les marges arrière en plus augmentent de 2% chaque année, c’est vraiment une absence totale de volonté politique !
Pascale Fourier : Mais alors, que faire dans ce contexte-là ?
Christian Jacquiau : Que faire ? Je crois qu’il faudrait, ce qui n’est pas facile, qu’il y ait une véritable volonté politique. Donc ça passe par le citoyen qui doit mettre la pression aussi sur le politique, en montrant que derrière un acte de consommation, il se passe quelque chose, il y a un avenir pour les jeunes ou pas, il y a un type d’agriculture ou un autre, un type de relation sociale ou un autre. Et puis peut-être et surtout changer nos comportements en tant que consommateurs. Souvent ce qui se passe, c’est que le citoyen, même s’il a des idées, s’il est conscient de beaucoup de choses, s’il est social ou autre, souvent laisse à la maison le citoyen, et c’est le consommateur qui part pousser le caddie. Il faut réfléchir, quand on glisse un produit dans son caddie, il se passe quelque chose dans l’envers du décor, ce n’est pas neutre. Je mets 1 kilo de tomates dans le caddie, j’encourage un type d’agriculture ou un autre. Je mets un tee-shirt à 20 F dans mon caddie, est-ce que j’encourage le travail des enfants dans les sous-sols du Tiers-Monde ? Est-ce qu’au contraire je favorise une redistribution des richesses etc... Il y a tout ça comme questions qu’il faut se poser. Un acte de consommation, ce n’est pas neutre, et tout commence par là.
Pascale Fourier : Avec la difficulté potentiellement quand même, qu’on peut pas tous aller s’acheter des carottes bio à 15 francs le kilo....
Christian Jacquiau : Oui ! Moi je prétends d’abord qu’il est tout à fait inacceptable d’accepter que certaines personnes aient les moyens de manger bon, sain, bio, et puis que d’autres mangent des sous-produits dénaturés. Ce sont des sous-consommateurs ! Je ne sais pas comment on les traite, mais en tout cas, c’est tout à fait inacceptable socialement, et ce n’est pas possible. Or, on voit bien que s’il n’y avait pas toutes ses pratiques, tout le monde pourrait manger sain, bio, et de qualité, et pas avoir, comme on le fait aujourd’hui une consommation à deux vitesses, ce qui est tout à fait inacceptable.
Pascale Fourier : C’était donc Des Sous... et des hommes avec Christian Jacquiau. Volontairement j’avais pour ma part occulté dans mes questions la façon dont le choses se passent de manière très précise dans la grande distribution. Vous pourrez trouver tous ces renseignements dans le livre que Christian Jacquiau a écrit qui s’appelle : « Les coulisses de la grande distribution », publié chez Albin Michel.
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l’usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 9 Avril 2004 sur AligreFM. Merci d’avance. source : http://altermonde.levillage.org/article.php3?id_article=3079 @+ | |
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