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 Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive

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FleurOccitane
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MessageSujet: Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive   Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive EmptySam 29 Avr à 23:11

Citation :

Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive néolibérale

mardi le 21 mars 2006,
par : Danielle OBONO

Annoncée en août 2005 par le gouvernement après plusieurs semaines d’intense préparation médiatique de l’opinion, la hausse de plus de 20 % des prix des produits pétroliers a une fois encore suscité colère et mobilisations populaires dans le pays. Cette neuvième augmentation en six ans, depuis le retour à un régime civil qui devait pourtant signifier une nouvelle ère pour le pays, s’inscrit dans la droite ligne des politiques néolibérales menées depuis par les deux gouvernements Obasanjo successifs, et qui s’ajoutent aux années d’ajustement structurel que subit ce pays depuis deux décennies.

Ces attaques ont aussi provoqué des résistances de la part du mouvement social, et plus particulièrement des syndicats. Ces derniers se retrouvent aujourd’hui au cœur d’une bataille sociale et politique qui est à la fois porteuse d’espoir et source de nombreux questionnements quant aux anciens modèles et aux nouvelles stratégies dont le mouvement a besoin aujourd’hui.

La « malédiction » de l’or noir

Un paradoxe qui confine à l’absurde : dans le premier pays africain producteur de pétrole brut, quand le prix du baril flambe, comme cela a été le cas au cours de l’été dernier, les Nigérianes et les Nigérians serrent les dents et pleurent de rage. Car si le gouvernement a alors vu ses recettes s’envoler, eux ont encore une fois subi la dégringolade de leur pouvoir d’achat. Du fait du faible niveau des infrastructures de base comme l’électricité et l’eau, ou d’un réseau ferroviaire adéquat et fonctionnel, l’ensemble du pays dépend énormément des produits pétroliers pour la production et la distribution. La hausse des prix des carburants entraîne donc systématiquement celle des coûts de transport et de production, et donc des produits de base, comme des services.

L’augmentation, comme toutes les autres, a été justifiée par la nécessité de mettre fin aux subventions des prix à la pompe dans le cadre de la nouvelle politique de dérégulation du secteur pétrolier. En effet le Nigeria, grand pays producteur et exportateur, est obligé d’importer la plus grande partie du carburant qu’il consomme, à cause en grande partie de la mauvaise gestion (véritable pillage organisé de fait) des raffineries locales. Pour faire passer la pilule l’État a longtemps dû concéder des subventions publiques pour la stabilisation de prix. Aujourd’hui les institutions financières internationales considèrent cette politique incompatible avec la réduction des charges de l’État. Ainsi, alors qu’ils sont censés être plus riches grâces aux revenus de leur pays, ce sont encore les plus pauvres qui paient. Les 70 % de Nigérians qui vivent avec moins de 1 dollar par jour apprécient très certainement l’amère ironie de la situation (1).

En coulisse les auteurs de cette mauvaise farce sont clairement identifiables. En premier lieu il s’agit de l’impérialisme des grandes puissances qui assignèrent aux pays africains le rôle et la place subordonnée dans le système de production international. Hier exercé à coups de Bible et de baïonnette, puis sous le joug civilisateur de la colonisation, leur domination s’est adaptée aux décolonisations et aux indépendances. Elle a pris la forme d’un néocolonialisme qui s’exerce aujourd’hui par le double jeu de l’appropriation monopolistique des matières premières et de leurs marchés et l’implacable maillage des institutions financières internationales (dettes, programmes d’ajustement structurel, etc.) auquel nul n’échappe (2). Ainsi au Nigeria, qui n’est rien moins que le cinquième fournisseur de la superpuissance états-unienne, tandis que les conglomérats Shell et British Petroleum se disputent l’exploitation du très convoité or noir, encore loin devant l’outsider TotalFinaElf, et que les multinationales américano-britanniques dominent largement les principaux secteurs de l’économie, le FMI et la Banque mondiale orchestrent l’insolvabilité permanente du pays. Ce sont également de puissants appuis politiques internationaux qui ont soutenu pendant des années les régimes autoritaires qui maintenaient d’une poigne de fer l’ordre dans le pays, avant d’accueillir bien trop bruyamment pour être de bonne foi le retour du Nigeria dans le « concert des nations » lors du toilettage institutionnel qui fit office de démocratisation en 1999.

Leur excès de zèle n’était certainement pas étranger à l’importance stratégique et au potentiel continental de ce pays. Deuxième puissance économique africaine derrière l’Afrique du Sud grâce à ses ressources et à sa population, le Nigeria, ou plus exactement ses dirigeants, se présente comme le « géant » du continent, en même temps que son gendarme et revendique un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies. La classe dirigeante nigériane est ainsi loin d’être simplement un vulgaire pantin de bois aux mains des grandes puissances. Elle occupe certes une place secondaire dans la « chaîne de commandement » du système capitaliste mondial, mais ses choix et ses actions répondent totalement à des intérêts propres bien compris. Si son président O. Obasanjo, invité régulier des différents sommets du G8, est l’un des grands promoteurs du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD, sorte de grand programme d’ajustement structurel « made in Africa »), c’est aussi parce que ces politiques néolibérales permettent la continuation et l’accentuation de l’accumulation primitive du capital au profit de la classe dirigeante qu’il sert. C’est donc bien autant à l’impérialisme des grandes puissances qu’aux intérêts de sa propre classe dirigeante que le mouvement syndical s’affronte quand il s’oppose aux augmentations des prix du pétrole domestique.

Opposition politique

En mettant le doigt sur le noeud gordien que représente au Nigeria la question hautement sensible de la gestion de la manne pétrolière, les syndicats en sont venus à représenter la seule véritable opposition politique au gouvernement. Aux incessantes augmentations ils ont répondu par des grèves générales dont le simple appel a parfois suffit à faire reculer le gouvernement, comme en 2003 où la grève générale, qui a paralysé presque tout le pays durant une semaine, malgré la sévère répression policière des premiers jours (huit morts), a fait finalement plier le gouvernement. Il faut dire que c’était à la veille de la tournée africaine de Georges Bush, qui devait débuter au Nigeria et qu’une grève générale, cela faisait désordre. Le mouvement a tout de même coûté plus de 100 milliards de nairas (636 millions d’euros) (3). Mais l’arme de la grève fait également trembler jusqu’aux marchés financiers internationaux. Ainsi par exemple lors de la grève d’octobre 2004, dans une situation rendue encore plus sensible par les dégâts du cyclone Yvan dans le golfe de Mexique, la nervosité des traders a fait grimper le prix du baril pendant plusieurs jours à plus de 50 dollars.

Si les syndicats sont généralement en situation d’avoir un tel impact (et cela a été le cas d’une façon ou d’une autre chaque année depuis 1999) c’est moins par leur taille que par leur positionnement économique, social et politique particulièrement stratégique dans l’espace nigérian. Certes, avec ses trois grandes confédérations, dont la plus importante le Nigeria Labour Congress (NLC) constitue avec ses 29 syndicats affiliés et ses 4 millions de membres une des plus grosses organisations syndicales du continent, le mouvement syndical nigérian est loin d’être négligeable (4). Mais ce qui fait réellement sa force c’est à la fois sa position économique centrale et son implantation dans les diverses strates de la société. D’une part les travailleurs du secteur pétrolier, organisés soit dans le syndicat des cols bleus NUPENG, soit dans le syndicat des cadres PENGASSAN, tiennent la haute main sur le principal robinet de l’économie du pays (5). A eux seuls ils peuvent déclencher la grève générale. D’autre part il y a les multiples liens (sociaux, économiques, familiaux, ethniques, etc.) qui unissent les travailleurs salariés au reste de la population. Que ce soit par le biais du chevauchement entre activités formelle et informelle (6), ou l’appartenance à des groupements communautaires (réseaux religieux, ethniques, régionaux ou villageois), les travailleurs sont ainsi en contact de solidarité, d’échange, d’entraide ou de dépendance avec la plupart des couches populaires. Leur mobilisation collective concerne et affecte donc d’une manière ou d’une autre l’ensemble de la population, qui dans sa majorité partage des difficultés semblables, et est donc plutôt encline à leur témoigner du soutien.

C’est enfin aussi bien objectivement que subjectivement que les mobilisations syndicales empruntent un caractère politique. Tout d’abord, l’État étant encore le principal employeur du pays, chaque mobilisation du secteur public met les travailleurs en confrontation directe avec le gouvernement, et chaque lutte a donc une forte dimension politique. Mais surtout le mouvement syndical a toujours porté, plus ou moins explicitement, des revendications politiques. Dès l’origine, les premiers syndicats nigérians (qui datent des années 1910 et qui se sont développés d’abord dans le secteur public) s’opposent politiquement à l’État dans les conditions d’une domination coloniale qui institutionnalise les discriminations raciales. Les premières revendications salariales pointent systématiquement les différences de traitement entre salariés Noirs et Blancs et sont une première forme de résistance politique à l’ordre colonial, même si elles s’expriment la plupart du temps en des termes plutôt modérés et conciliateurs. En même temps que des concessions économiques sont trouvées ici et là les autorités coloniales sont souvent obligées de concéder plus de libertés politiques, sous peine de voir les mouvements les grèves prendre un tour trop radical. Ainsi la grève en 1920 des charpentiers du Nigerian Mechanics Union qui s’étend à toute le protectorat de Lagos a comme conséquence politique directe la formation d’un nouveau conseil législatif incluant cette fois des délégués indigènes. Trois ans plus tard en 1923 le premier parti politique nigérian, le Nigerian Democratic Party, est fondé.

Mais c’est à partir de 1945, dans les années d’après-guerre, que le mouvement syndical acquiert une dimension plus distinctement politique avec l’émergence du mouvement nationaliste anticolonialiste. C’est cette année là qu’a lieu la première grève générale de l’histoire du pays : pendant près de six semaines les 43 000 travailleurs des services économiques et administratifs « essentiels » vont se mettre en grève pour des augmentations de salaires.

Deux ans plus tard, la première réforme constitutionnelle, qui pose notamment les bases du régionalisme tripartite qui va fondamentalement déformer les enjeux politiques du pays, est adoptée. Mais c’est surtout quelques années plus tard, en 1949, suite à la répression sanglante d’un mouvement de grève de mineurs dans l’est du pays à Enugu, que l’agitation syndicale et politique anticoloniale atteint son apogée avec les demandes d’un gouvernement autonome immédiat. Après l’indépendance, obtenue en 1960, les syndicats joueront encore un rôle de premier plan dans un certain nombre de développements politiques importants. En 1964 par exemple une nouvelle grève générale de deux semaines obtient des révisions salariales et fait prévaloir pendant un temps une véritable solidarité ouvrière interethnique, dans un contexte de crise politique et institutionnelle croissante qui allait mener à la guerre civile de 1967.

Pour un certain nombre de raisons historiques aucune force de gauche significative, qui puisse donner une expression politique aux clivages de classe, n’est jamais parvenue à émerger au Nigeria. Les trois principales formations politiques actuelles du pays (7), comme d’ailleurs la plupart de celles qui ont existé sous les quatre premières républiques éphémères, ne sont que des coalitions de diverses sections de la classe dirigeante, recoupant souvent des regroupements ethno-régionalistes. Cet état de fait, qui explique la place qu’occupent les syndicats, comme seule forme organisée de la classe ouvrière à l’échelle de masse, est le résultat des conditions politiques particulières qui ont présidé au développement du pays et fortement influencé le mouvement syndical.

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FleurOccitane
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MessageSujet: Re: Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive   Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive EmptySam 29 Avr à 23:12

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Les syndicats et le projet nationaliste

Pour saisir pleinement le type d’environnement général dans lequel s’est construit le mouvement syndical nigérian, il importe de faire un rapide retour sur l’histoire politique du pays qui éclaire les problématiques de la situation actuelle. Le Nigeria en ce sens n’est pas une exception, mais plutôt un exemple typique de la crise de l’État postcolonial africain (Cool. Ses particularités résident plus dans les formes extrêmes que prirent les clivages intra- et inter-classistes. Ayant hérité d’un État construit par la puissance coloniale dans le seul but d’exploiter le pays et de contrôler les populations, les élites africaines (ici nigérianes) l’ont investi sans en remettre en cause les fondements. En fait une classe dirigeante (noire, postcoloniale) en remplace une autre (blanche, coloniale). Mais les contradictions d’un État colonial construit artificiellement sur l’unification arbitraire de territoires et de populations aussi diverses que variées va compliquer le projet nationaliste de la nouvelle classe dirigeante nigériane, d’autant qu’elle ne saura maintenir en son sein le consensus de départ. Ses différentes sections vont en effet s’opposer jusqu’au déchirement pour le contrôle de l’appareil d’État, principal instrument du pouvoir politique et économique qui détermine le partage des moyens de l’accumulation primitive.

Cette guerre intestine de la classe dirigeante mène quasiment à l’effondrement de l’objet du conflit, à savoir, l’entité nigériane, à travers l’expérience d’une longue et coûteuse guerre civile. A cette occasion un nouvel acteur dirigeant fait son apparition : l’armée, et plus particulièrement la haute (d’abord moyenne) hiérarchie militaire. Dans un processus de type bonapartiste, ce nouvel acteur va « réconcilier » les classes dirigeantes en conflit en refondant le projet nationaliste. Se posant en arbitre et se ralliant le soutien d’une majorité des groupements sociaux, politiques et communautaires du pays, les militaires vont mener et gagner la guerre contre la sécession biafraise et reconstruire l’État sur la base d’un consensus qui consacre l’hégémonie du centre (le gouvernement fédéral et l’ensemble de l’appareil d’État centralisé) et son contrôle sur la ressource pétrolière qui devient le carburant essentiel et indispensable du développement étatique et national. Mais à partir du milieu des années 1980, la machine se grippe. La crise mondiale frappe plus durement les pays dépendants du Sud et sape les bases économiques du projet nationaliste, déjà fortement entamé par la rapacité des classes dirigeantes nigérianes. Un temps contenue par l’arbitrage des militaires (qui vont d’ailleurs très vite se prendre au jeu également) la course à l’accumulation va se traduire par un niveau formidable de corruption qui gangrène tout le système. Le modèle nationaliste a échoué.

Cette situation se traduit par une mainmise accrue des institutions internationales qui justement à cette période changent complètement d’orientation avec le début de la « révolution conservatrice » néolibérale. C’est le début de mise en place des premiers plans d’ajustements structurels, version locale, en 1986. Le mouvement syndical est frappé de plein fouet par ce retournement. Si au niveau politique l’alliance avec les dirigeants nationaliste a très vite tourné court une fois les indépendances obtenues, les syndicats ont néanmoins pris part d’une certaine manière au projet nationaliste en défendant les perspectives idéologiques sous-jacente du développement et de « l’intérêt » national. Cela n’a pas empêché des conflits de classe avec la classe dirigeante nigériane. Au contraire, les heurts et malheurs du modèle de développement nationaliste adopté après l’indépendance n’ont fait qu’exacerber les tensions. Mais à quelques exceptions près, elles ont le plus souvent été détournées en clivages ethniques ou religieux par les élites. Deux tendances principales se sont traditionnellement disputées la direction de ce mouvement : un syndicalisme de consensus/collaboration affilié aux organismes internationaux du bloc capitalisme, et un syndicalisme plus radical et de confrontation, mais influencé par le stalinisme. Aucune de ces deux orientations ne questionne la nature fondamentale du projet nationaliste, se contentant soit de l’accompagner tout simplement, soit de ne s’opposer qu’aux effets et aux conséquences de ses dysfonctionnements sur les conditions de vie et de travail des travailleurs.

Engagement démocratique

Dans les années 1980 on assiste au sein du mouvement syndical à deux tendances contradictoires. D’une part la collaboration assumée des directions syndicales, symbolisées par la personne de Pascal Bafyau, considéré certainement comme un des plus vils président du NLC.

D’autre part, en même temps, il y a persistance et renforcement dans certains secteurs d’un syndicalisme très actif à la base, à travers l’exemple de l’Academic Staff Union of Universities (ASUU). Ce syndicat du personnel enseignant des universités va en effet émerger à partir du milieu des années 1980 comme le fer de lance de la radicalité syndicale, s’opposant pied à pied aux réductions budgétaires, aux attaques contre l’autonomie des universités et, plus globalement, à la privatisation de l’enseignement supérieur. Affichant un attachement principiel à la classe ouvrière dont il se considère comme faisant intégralement partie en tant qu’organisation de travailleurs intellectuels (9), l’ASUU va devenir la bête noire des régimes nigérians.

C’est après la chute du deuxième gouvernement civil et le retour des militaires au pouvoir, que le nouveau chef du régime, Ibrahim Babangida, tente de faire avaliser par la population le plan d’ajustement structurel exigé par le FMI et la Banque mondiale en organisant une sorte de grand débat national. L’ASUU va activement mener campagne contre le projet de plan d’ajustement structurel, en diffusant largement un ensemble d’analyses contrecarrant en tous points la propagande officielle. Il va également soutenir le mouvement étudiant contre les attaques du gouvernement. L’organisation syndicale va alors être l’objet d’une répression féroce, en même temps que de tentatives de déstabilisations internes par le soutien à des factions dissidentes. Elle est interdite une première fois en 1986 et désaffiliée de force du NLC à cause notamment, de l’influence radicale intellectuelle qu’exerce le syndicat sur la centrale.

De manière générale, à l’égard du mouvement syndical dans son ensemble, la réponse des régimes militaires qui vont se succéder dans les pays va être un cocktail de cooptation et de répression sauvage, notamment sous le régime militaire de Sani Abacha (10). Les conflits avec les militaires conduisent par deux fois, en 1988 et en 1994, à la dissolution du NLC, qui est alors l’unique centrale syndicale officielle. De nombreux dirigeants syndicaux sont arrêtés et continuellement harcelés ; les réunions syndicales systématiques attaquées ou interdites.

Cette stratégie très dure de l’État n’empêche pourtant pas le mouvement syndical de prendre une part importante dans les mouvements démocratiques qui émergent à partir des années 1990. C’est là que va se forger l’alliance des syndicats avec la « société civile » (principalement associations de défense des droits de l’homme et des libertés civiques et démocratiques). Au sein des coalitions larges (ou en collaboration avec) comme Campaign for Democracy (CD) ou National Democratic Coalition (NADECO) des syndicats comme ASUU ou le Nigerian Union of Journalists (NUJ) vont se mobiliser pour la mise en place et l’exécution d’un véritable programme de transition démocratique ; puis, après l’annulation du processus électoral en 1993, pour l’actualisation des résultats et la fin du régime militaire.

C’est ainsi qu’en juillet 1994 les syndicats du secteur pétrolier (NUPENG et PENGASSAN) vont organiser une des grèves les plus dures de la période contre le régime militaire. Le mouvement, alliant explicitement des revendications économiques et des mots d’ordre politiques pour le retrait des militaires du pouvoir, va se généraliser à tous les secteurs et provoquer pendant plus d’un mois la paralysie du pays. Le régime va s’abattre de toute sa force contre les syndicats. Les présidents du NUPENG et du PENGASSAN sont emprisonnés et leurs organisations, tout comme le NLC, mises sous contrôle d’administrateurs uniques nommés par le gouvernement. Un ensemble de mesures draconiennes sont prises pour déstructurer totalement les appareils de direction syndicaux et pour empêcher une coordination des actions entreprises à la base. Finalement, le gouvernement parvient à défaire le mouvement, en s’appuyant notamment sur les ambiguïtés et les faiblesses de la direction du NLC. Les syndicats vont alors mettre un certain temps à se remettre de cette attaque, ne reprenant vraiment de la voix, malgré des actions et mouvement ici et là dans les années qui suivent, qu’à partir de 1998, avec la mort de Sani Abacha et la mise en place de la transition.

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MessageSujet: Re: Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive   Nigeria : résistances et contradictions face à l’offensive EmptySam 29 Avr à 23:13

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Nouvelles résistances et perspectives

La transition « démocratique » achevée de 1999 a finalement rendu aux syndicats leur liberté d’action (au moins formellement), suite à la levée de la plupart des décrets militaires antisyndicaux et à la libération des dirigeants emprisonnés. Cette année-là, en même temps que le nouveau régime civil, les syndicats nigérians accueillirent une nouvelle direction à la tête du NLC. Le nouveau président syndical Adams Oshiomole avait fait campagne sur le thème « Renaissance 99 », et les travailleurs nigérians, comme leurs millions de compatriotes, espéraient vraiment voir s’ouvrir devant eux une nouvelle ère où ils profiteraient des dividendes de la démocratie.

Malheureusement la transition démocratique n’a réellement permis qu’une continuation des mêmes politiques néolibérales et antisociales sous l’habit démocratique (11). Et les travailleurs ont très vite retrouvé le chemin des mobilisations. Les mouvements qui ont suivi la transition ont porté sur un large éventail de revendications, allant des revalorisations salariales aux luttes contre les licenciements. Mais le point focal de ces mouvements a véritablement été la bataille contre l’augmentation des prix du pétrole qui commence dès 1999. Elle reconstitue l’alliance des syndicats avec d’autres forces du mouvement social et fait émerger Adams Oshiomole, le dirigeant du NLC sur la scène publique et nationale. Pourtant le personnage et la politique syndicale qu’il mène n’est pas sans ambiguïtés et contradictions qui peuvent finir par constituer des obstacles pour le mouvement.

Élu en 1999 et réélu en 2002 à la tête de la centrale syndicale, Adams Oshiomole est souvent présenté comme le leader non officiel de l’opposition surtout depuis les campagnes contre les hausses des prix du carburant. Leader charismatique du mouvement syndical, Oshiomole a grimpé les échelons de la hiérarchie syndicale pendant les années troubles de la décennie 1990. Sa force réside dans l’alliage constant d’une rhétorique parfois très radicale et d’une attitude réelle beaucoup plus conciliatrice. Il entretient ainsi des relations ambiguës avec le gouvernement et Obasanjo. En 1999 il tempère les ardeurs des travailleurs pour « préserver » la transition et finit par négocier avec Obasanjo l’augmentation de 25 % des salaires des travailleurs du public. En 2002 il soutient ce même Obasanjo pour sa réélection. Mais le mécontentement syndical et populaire face aux contre-réformes du gouvernement le mène aussi à la confrontation avec le pouvoir, qui n’est pas sans risques. Et s’il s’est positionné comme leader de la campagne contre les hausses des prix du pétrole, il participe au Conseil national pour les privatisations, organe chargé notamment de superviser un certain nombre de mesures économiques... dont l’augmentation des prix du pétrole contre laquelle se battent les syndicats est une des conséquences logiques.

Toutes ces ambiguïtés et contradictions à la direction des syndicats, qu’on retrouve typiquement dans la politique syndicale d’un Adam Oshiomole, font que face à un gouvernement totalement dédié à l’avancement de son agressive politique néolibérale le mouvement n’a pas de véritable stratégie. Au cours des dernières années il s’est souvent borné à protester contre les hausses des prix, les dérégulations et les privatisations sans remettre en cause la logique globale de cette politique.

La campagne de 2005 a peut être marqué un tournant. En effet, plutôt que d’appeler à une nouvelle grève (qui risquait de ne pas pouvoir se maintenir très longtemps à cause notamment de la difficulté du petit peuple de l’informel de survivre sans liquidités), les syndicats et leurs alliés au sein de la Labour and Civil Society Coalition (LASCO) se sont engagés dans une nouvelle démarche. Il s’agissait d’appeler à des manifestations et à la tenue de grandes réunions publiques sur le thème de l’opposition à une hausse des prix à la pompe, mais également contre la politique générale du gouvernement Obasanjo comme facteur principal de l’appauvrissement de la population. Ces manifestations, organisées aux quatre coins du pays, ont rassemblé à chaque fois des milliers de travailleurs autour de mots d’ordre forts et politiques. Elles ont permis d’exprimer et de donner forme à la politisation d’une large couche des travailleurs organisés, et participent en ce sens à la radicalisation de l’opposition au gouvernement.

Si les suites concrètes du mouvement se font malheureusement encore attendre, du fait de l’apathie des directions syndicales qui semblent se contenter de cette première phase, le processus, patiemment et politiquement construit, pourrait déboucher sur de véritables perspectives d’alternatives. D’autant qu’il y a urgence : la crise structurelle de l’État nigérian ne s’est pas résolue avec l’ouverture des institutions. Elle semble au contraire se poursuivre, alimentée par les transformations que tentent de produire les politiques néolibérales (démantèlement de l’État qui était jusque-là le moyen et le lieu de l’accumulation primitive). Les tensions et clivages forts qui en découlent risquent d’aller grandissant notamment avec la perspective des élections présidentielles de 2007. Les batailles au sein de la classes dirigeantes risquent de s’exacerber pour le contrôle de ce qui reste des appareils étatiques, tout comme les attaques pour tirer encore plus de profits du reste de la population. En l’absence de perspectives du mouvement, ces développements se cristallisent déjà sur d’autres clivages - régionaux, ethniques et/ou religieux - qui sont source de violence et de division entre les exploités et les opprimés. Les organisations du mouvement ouvrier nigérian ont ainsi la lourde responsabilité, mais aussi les moyens, d’éviter de nouvelles tragédies à l’ensemble de la classe, et d’offrir de vraies perspectives d’émancipation.

* Danielle Obono, chercheuse en science politique, spécialiste des études africaines et militante à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, section française de la IVe Internationale).

1. Le Nigeria peut également se targuer d’être le seul pays du monde disposant de ressources pétrolières à présenter un déficit budgétaire.

2. Voir sur ce point “The Strangling of Africa”, International Socialism, n° 107, été 2005.

3. Voir notamment l’article de Jean Nanga, « Nigeria : grèves générales en série », Solidarités n° 39 du 19 janvier 2004.

4. La population active du pays était estimée en 2004 à 55,66 millions de personnes dont près de 70 % dans l’agriculture, 10 % dans l’industrie et 20 % dans les services.

5. L’économie nigériane est largement dépendante de l’exploitation pétrolière qui génère près de 95 % des exportations, 70 % des revenus fiscaux et un tiers du PIB du pays. Le pays est le premier pays africain producteur de pétrole brut, cinquième fournisseur des États-Unis.

6. La part de l’économie informelle au Nigeria est l’une des plus élevées d’Afrique, et représenterait près de 75 % du PNB non-pétrolier en 2003 (à titre de comparaison, cette part n’est que de 11 % aux États-Unis et 16 % en France). Ce secteur a connu une véritable explosion au cours des dernières décennies, parallèlement au développement de la crise et à la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel qui ont conduit à des licenciements massifs notamment dans le secteur public. La majeure partie des travailleurs licenciés, mais aussi de nombreux travailleurs salariés, ont recours à cette économie de survie et de « débrouille ».

7. Il s’agit du People’s Democratic Party (PDP) du président Obasanjo, majoritaire à l’assemblée et au sénat, du All Nigerian People’s Party (ANPP) et de l’Alliance for Democracy (AD).

8. Sur la crise du projet nationaliste nigérian cf. Cyril I. Obi, “No longer at ease : Intellectuals and the crisis of nation-statism in Nigeria in the 1990s”, Revue Africaine de sociologie, vol. 8, n° 2, 2004, pp.1-14

9. C’est ainsi que bien qu’étant une organisation de « cadres », ASUU va s’affilier au NLC et maintenir des liens constants avec la confédération syndicale qui organise principalement les cols bleus.

10. Cf. Jimi O. Adesina, “Relations État/syndicats au Nigeria : néolibéralisme, autocratie et dilemme de la démocratie”, in Lebeau Yann, Boubacar Niane, Piriou Anne, De Saint Martin Monique (dir.), État et acteurs émergents en Afrique, IFRA/Karthala, 2003, pp. 57-85.

11. Cf. Béatrice Humarau, “D’une transition à l’autre : classe politique et régimes militaires au Nigeria”, in L’Afrique politique 1999. Entre transition et conflits, Karthala/CEAN, 1999, pp. 61-83.

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