Discutaction
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.



 
AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
-40%
Le deal à ne pas rater :
-40% sur le Pack Gaming Mario PDP Manette filaire + Casque filaire ...
29.99 € 49.99 €
Voir le deal

 

 La sémantique aviaire dans les médias

Aller en bas 
AuteurMessage
FleurOccitane
Rang: Administrateur



Nombre de messages : 5959
Localisation : Toulouse
Date d'inscription : 30/04/2005

La sémantique aviaire dans les médias Empty
MessageSujet: La sémantique aviaire dans les médias   La sémantique aviaire dans les médias EmptySam 22 Avr à 23:19

Citation :

Groupe de travail "Médias et grippe aviaire"

Influenza, grippe, peste... La sémantique aviaire dans les médias.

Jean-Claude Le Berre, Journaliste
Mise à jour : 7 mars 2006

Malgré son statut sanitaire de maladie animale, l’épizootie d’influenza aviaire qui semble se généraliser à de nombreux pays à partir du son foyer d’origine dans l’Asie du Sud-Est, se trouve de plus en plus assimilée à une maladie humaine, la grippe. L’étude de l’emploi des mots, influenza, grippe et peste dans les articles de presse écrite, grand public et spécialisée, montre comment la sémantique joue un rôle dans le statut social de ce qui n’est encore qu’une maladie animale et dans la représentation qu’en font les opinions publiques.

« Depuis quelques jours, Anna Pavlona avait des accès de toux, la « grippe » disait-elle, recourant à un mot nouveau encore fort peu répandu ». Léon Tolstoï décrit cette scène dans les premières lignes de Guerre et Paix et la situe en juin 1805. Sur cette base on peut donc dire que le mot grippe a seulement deux cents ans. Peut-être même moins puisque l’écriture du roman débute en 1863 [1].

Auparavant on parlait d’influenza. Un mot italien provenant d’une locution plus complète : « influenza di freddo », l’influence du froid, pour désigner une maladie survenant plus particulièrement par temps froid. Le mot grippe quant à lui dérive du francisque. Un mot qui signifie « griffe, croc, accrochage ».

Si le virus de l’influenza aviaire est bien connu chez les animaux depuis de nombreux siècles, il n’a été isolé chez l’homme pour la première fois qu’en 1933. L’organisation mondiale de la santé animale (ex OIE), a recensé 21 épisodes d’influenza aviaire depuis 1959.

Lorsqu’elle infecte les volailles, cette épizootie est aussi appelée « grippe du poulet ». Pourtant les symptômes ne se présentent pas comme un syndrome grippal mais sont d’ordre septicémiques (œdèmes, congestions, hémorragies, diarrhées) avec une mortalité élevée et brutale. D’emblée, il apparaît que le terme grippe du poulet, au lieu du terme vétérinaire classique influenza, est donc un contre sens. Qui s’avère aujourd’hui lourd de conséquences.

Pour qualifier les deux grandes épizooties similaires qui peuvent toucher les volailles, l’influenza et la maladie de Newcastle, les vétérinaires et les pouvoirs publics emploient le terme plus générique de peste aviaire, comme en témoigne une brochure du ministère de l’Agriculture (Direction générale de l’alimentation), disponible lors du dernier salon des productions animales (Space) en septembre dernier à Rennes.

D’ailleurs, Jeanne Brugère-Picoux, professeur à l’École vétérinaire de Maison-Alfort, conteste l’emploi du mot grippe aviaire. « Si on parle de volaille, c’est impropre : il s’agit de la peste aviaire » [2], affirme-t-elle dans l’hebdomadaire La Terre. « Les vétérinaires parlent de peste aviaire », indique-t-elle dans France-Soir [3]. C’est la presse spécialisée qui emploie le plus souvent le mot peste aviaire, dans son acception vétérinaire. Toutefois avec des nuances, selon le statut de la publication. Ce sont les mensuels techniques avicoles, très spécialisées qui emploient ce mot (Filières avicoles, Réussir aviculture). L’hebdomadaire spécialisé, La France Agricole, l’utilise également.

On retrouve toutefois quelques occurrences de ce mot dans des éditions du Monde de septembre. Ainsi, ces deux titres, à une semaine d’intervalle : « la nouvelle épizootie de peste aviaire vient bouleverser la stratégie de lutte contre l’épidémie hivernale du virus de la grippe » [4] et « Nouvelle alerte au virus de peste aviaire » [5]. Mais ensuite, Le Monde se range à la tendance générale, le mot grippe prend le pas sur celui de peste.

Les médias, sous réserve d’inventaire, en sont toujours restés (ou en sont venus) à employer le mot grippe pour nommer l’épizootie d’influenza aviaire, par souci de vulgarisation. Jamais, le mot peste ne s’est généralisé, à quelques exceptions près. Sans doute parce que la charge émotionnelle que véhicule ce mot est beaucoup trop forte par rapport à la situation présente. Ce que relève déjà Susan Sontag en 1988 à propos de la grippe humaine : « La grippe, qui, plus que toute autre épidémie au cours de ce siècle ressemblerait à la peste si le seul critère était le nombre de morts (...) n’a jamais été traitée métaphoriquement comme une variété de peste ». Si on n’a jamais évoqué ce mot lors des épidémies de grippe c’est « qu’elles ne possédaient pas assez ces attributs, associés depuis longtemps à la peste ». [6]

Dans le cas présent, on ne peut que s’en féliciter car le mot peste qui vient du latin « plaga » (coup, blessure) a « longtemps été employé métaphoriquement pour désigner le plus haut degré de calamité, de malédictions, de fléau collectif » [7] Dans l’imaginaire des Français, le roman d’Albert Camus, La Peste, illustre bien cette catégorisation.

Pour expliquer les liens entre la pensée humaine et les médias, des psychosociologues proposent de comprendre la réponse au risque comme représentation et non comme perception « Les journalistes et l’homme de la rue construisent des représentations des événements à travers l’ancrage », souligne Hélène Joffe [8]., Enseignante à Londres, elle prend l’exemple de la grippe aviaire pour illustrer son propos. Quand cette dernière « a pénétré les médias britanniques, elle a été rapportée, donc ancrée à l’épidémie de grippe espagnole de 1918 ».

En France, l’hebdomadaire Courrier International publie la traduction d’une publication de Hong Kong, le 19 juillet 2001 : « Le XXe siècle a connu trois grandes pandémies : 1918, la grippe espagnole ; 1957, la grippe asiatique ; 1968, la grippe de Hong Kong. La première a fait plus de 20 millions de morts dans le monde entier (...) ». Courrier International publie aussi un article de l’AFP, datée du 26 janvier 2004 : « Le spectre de l’épidémie de grippe espagnole ; qui tua des millions de personnes à la sortie de la Première Guerre mondiale, hante tous les spécialistes... ». En octobre 2005, Libération y revient, sous le titre, « Le virus de la grippe espagnole ressuscité » [9].

Cet épisode de l’histoire sanitaire mondial est aussi relaté par Agra Presse Hebdo qui cite le docteur Sandrine Segovia-Kueny, chargée de mission au secrétariat général de la Défense nationale (SGDN), intervenant lors d’une conférence sur la gestion de crise à l’Ifocap (Institut de formation des cadres paysans) le 11 janvier. « L’ampleur du fléau pourrait dès lors aller d’une épidémie de grippe saisonnière à une épidémie plus importante comme en 1967, voire comme la grippe espagnole en 1917 » [10].

Pour Hélène Joffe, cette référence historique a une double conséquence. « Les médias n’ont pas seulement prêté un concept à l’homme de la rue avec lequel comprendre la nouvelle maladie, ils ont cherché à donner l’alerte sur la potentialité destructive de la grippe aviaire [11]. La description dans les médias du risque de propagation de l’influenza aviaire et de sa forme humaine conduit à l’emploi d’une rhétorique guerrière ou de Série Noire.

Ainsi pour Le Point, « C’est une stratégie de guerre qui se met en place. La France se prépare à cette bataille contre la pandémie ». Et de brosser, « un portrait d’un tueur en série, le H5N1 » [12]. Dans la même veine, Les Échos font aussi le « Portrait d’un tueur » [13]. Quant à Libération, il titre sur un « Exterminateur de volailles » [14]. L’édition française du National Géographique consacre un dossier à la « Grippe tueuse » [15]. Le magazine masculin Men’s Health donne dans le préventif : « Grippe aviaire : que risquez-vous ? Comment elle tue ? » [16]. Pour sa part, Science Revue, dans un dossier spécial consacré à la grippe aviaire, retrace, « De la Chine à l’Europe, l’histoire inquiétante d’un tueur nommé H5N1 » [17] Conclusion, pour Paris-Match, « Le malheur est dans le pré ». Les éleveurs, notamment ceux du Gers apprécieront..., même si le reportage du magazine a trait à la Roumanie [18].

La recrudescence des foyers d’infections et le décès de deux enfants en Turquie début janvier ravivent le rédactionnel. « Grippe aviaire : faut-il avoir peur ? » questionne L’Humanité du jeudi 12 janvier, en une, photo à l’appui. Pour Paris-Match, « la grippe aviaire tue à la porte de l’Europe ». Le magazine a rencontré la famille turque endeuillée et y consacre six pages [19].

On voit là, toute l’incidence de la dénomination de cette maladie animale associée de facto par sa dénomination, à une maladie humaine hautement pathogène, voire mortelle dans certains cas bien précis. Un phénomène qui a pris une ampleur d’autant plus forte que sa médiatisation s’est mise en place en fin d’automne, au moment où s’annonce la grippe humaine ordinaire qui est à l’origine de quelque 3 000 décès annuels, rien qu’en France. Cette année elle est de forme H3N2.

Ainsi, une dépêche d’Associated Press, datée du 30 août titre : « Le gouvernement renforce les moyens de protection contre la grippe aviaire » et une autre datée du lendemain indique : « Le vaccin contre la grippe disponible le 22 septembre. » Et pour ajouter à la confusion, le ministre de la Santé, avait déclaré quelques jours auparavant : « Il sera recommandé à tous les professionnels de la filière avicole au contact des animaux de se vacciner contre la grippe habituelle » [20]. Un appel resté sans suite car sans effet médical.

L’emploi du même mot, la grippe pour qualifier deux formes de maladies, l’une essentiellement animale et l’autre humaine et pourtant distinctes par la forme des virus qui les véhiculent, entraîne la confusion et généralise l’inquiétude des populations.

L’iconographie accompagnant ces articles accentue encore la notion de risque. Les volailles sont manipulées par des personnes en combinaison spéciale, gantées et équipées de lunettes de protection. Le summum ayant été atteint à l’occasion de l’exercice de simulation dans un élevage de Bretagne. Dans ce domaine de l’image, c’est sans doute le National Géographique qui a publié le reportage le plus « soft » sur l’influenza aviaire et sa contamination aux humains en employant le noir et blanc plutôt que la couleur.

Même certaines publications agricoles utilisent systématiquement le mot grippe. Ici encore, la proximité avec les éleveurs détermine le vocabulaire. Ce sont les journaux hebdomadaires ou quinzomadaires (Le Paysan Breton, Agriculture 44) qui ont recours pour la majorité d’entre eux au terme influenza. Exception notable, La Volonté Paysanne du Gers, qui titre en manchette sur toute sa largeur, « grippe aviaire ». Les publications nationales agricoles utilisent le mot grippe, même l’agence spécialisée Agra Presse ne parle que de grippe et quasiment jamais d’influenza. Parce que ses papiers sont repris systématiquement par Ouest-France ? Signe aussi d’une acculturation de certains médias spécialisés qui se conforment au mot dominant employé par leurs confrères généralistes.

Au final, le constat s’impose : la bataille sémantique est perdue. Mais les médias ne sont pas les seuls responsables de cette défaite. Les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité dans cette utilisation du mot grippe, malgré les efforts du ministre de l’Agriculture pour tenter d’en rester à celui d’influenza. On mesure par ce fait, son influence limitée.

[1] Introduction de Pierre Pascal, La Guerre et la Paix. Léon Tolstoï, Gallimard, Col. La Pléiade, Paris 1998 (1952)

[2] Édition du 1er au 7 novembre 2005

[3] Édition du jeudi 20 octobre 2005

[4] Édition du mercredi 7 septembre 2005

[5] Édition du mercredi 14 septembre 2005

[6] Susan Sontag. Le sida et ses métaphores. Christian Bourgois éditeur. Paris 2005 (1988

[7] Idem

[8] Hélène Joffe, De la perception à la représentation du risque : le rôle des médias, in Psychologie sociale et communication. Hermès n° 41, mai 2005. CNRS Éditions

[9] Édition du jeudi 10 octobre 2005

[10] Édition n° 3039, semaine du 16 janvier 2005

[11] Hélène Joffe. De la perception à la représentation du risque. Op. cit

[12] Édition de septembre 2005

[13] Édition du mercredi 26 octobre 2005

[14] Édition du mercredi 26 octobre 2005

[15] Novembre 2005

[16] Décembre 2005

[17] Décembre - janvier 2006

[18] Édition du 20 au 26 octobre 2005

[19] Édition du 12 au 18 janvier 2006

[20] Dépêche AFP du jeudi 25 août 2005, 15 h 31.

http://www.observatoire-medias.info/article.php3?id_article=600
Revenir en haut Aller en bas
 
La sémantique aviaire dans les médias
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Discutaction :: Parlons-en ... actualité et dossiers de fond :: Société :: Les médias et la société-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser