Terrorisme, Agriculture et Coopération USA - Inde

altermonde-levillage-Par Vandana Shiva-samedi 1er octobre 2005, satyagrahas
Terrorisme, Agriculture et Coopération USA - Inde

Citation :

Traduction : Satyagrahas

10 Août 2005

Le terrorisme et l’agriculture font partie des questions soulevées dans la déclaration commune USA-INDE publiée le 18 juillet 2005 lors de la rencontre de Monsieur le premier ministre Man Mohan Singh’s et le président Bush. Comme la déclaration l’annonce les deux chefs d’état ont décidé :
- de créer un environnement international enclin à promouvoir les valeurs démocratiques et de renforcer les pratiques démocratiques dans les sociétés qui souhaitent devenir ouvertes et pluralistes.
- de combattre le terrorisme implacablement.

Les chefs d’état ont également convenu :
- de lancer une initiative significative sur l’agriculture et de promouvoir l’enseignement, la recherche, les services et les liens commerciaux.

Le protocole d’accords de niveau supérieur des Sciences et Technologies signé entre les USA et l’Inde le 20 juillet 2005 a clairement indiqué que l’enseignement et la recherche seront essentiellement concentrés sur la bio technologie ou la génétique, souvent désigné comme la seconde Révolution Verte. L’accord sur la science et la technologie cite la Révolution Verte dans les années 60 au début de la coopération entre les deux pays en Inde. Pour évaluer l’impact du nouvel accord, nous devons faire une critique honnête de l’impact de la Révolution Verte.

Ce n’est pas la première fois qu’un projet sur l’agriculture conduit par les usa est imposée à l’Inde. La prétendue Révolution Verte a été introduite il y a 40 ans. Elle a alimenté le terrorisme dans les années 80 au Punjab.

Pendant que les deux chefs d’état décident de « combattre le terrorisme implacablement » ils favorisent la technologie et les modèles commerciaux qui servent les intérêts corporatistes américains et détruisent la sécurité des moyens de vivre des fermiers créant ainsi le terrain de prédilection du terrorisme comme je l’ai démontré dans mon livre « La Violence de la Révolution Verte » (Zed Books).

Quand nous sommes devenus indépendants, notre agriculture était en crise en raison des négligences et de l’exploitation subies. Le ministre de l’Agriculture K.M. Munshi décida de la priorité absolue des réparations des cycles naturels hydrologiques et alimentaires. Ce sont les principes utilisés par une agriculture écologique de subvenance alimentaire.

Cependant, alors que les scientifiques et les politiciens travaillaient sur des alternatives écologiques et autonomes pour la régénération de l’agriculture en Inde, une autre vision du développement agricole prenait forme chez les fondations et organismes d’aide américains. Cette vision n’était pas basée sur la coopération avec la nature mais sur sa conquête.

Elle était basée, non pas sur l’intensification des processus de la nature, mais sur l’intensification d’emprunts et d’acquisitions d’engrais chimiques et de pesticides. Elle n’était pas basée sur la diversité mais sur l’uniformité. Des conseillers et des experts vinrent d’Amérique pour transformer la politique et la recherche agricole de l’Inde d’un modèle écologique et territorial en un modèle exogène et exigeant, trouvant naturellement des partenaires chez les élites tout simplement parce que ce nouveau modèle convenait à leurs intérêts et priorités politiques.

Il y avait trois groupes d’agences internationales impliquées dans le transfert du modèle agricole américain à l’Inde. Les fondations privées américaines, le gouvernement américain et la Banque Mondiale. La fondation Ford a été impliquée dans la formation et le développement agricole depuis 1952. La fondation Rockfeller a été impliquée à remodeler le système de recherche en Inde depuis 1953. En 1958, l’Institut Agricole Indien, qui avait été crée en 1905, était réorganisé, et Ralph Cummings, le directeur d’études de la fondation Rockfeller a été nommé doyen. En 1960, il a été remplacé par A.R. Joshi et en 1965 par M.S. Surminatan.

En plus de la réorganisation des institutions de recherches indiens sur le modèle américain, la fondation Rockfeller a également financé les séjours d’élites dans des institutions américaines. Entre 1956 et 1970/1990 des séjours gratuits étaient offerts à des intellectuels indiens pour voir les instituts agricoles et les stations expérimentales américaines. 115 étudiants terminèrent leurs études sous l’égide de la fondation. Plus de 2000 indiens étaient financés par USAID pour acquérir une éducation agricole américaine durant cette même période.

Le travail des fondations Rockfeller et Ford était facilité par des organisations comme la Banque Mondiale qui assurait les financements nécessaires afin d’introduire un modèle agricole capitaliste et intensif dans un pays pauvre. Au milieu des années 1960 l’Inde était obligée de dévaluer sa monnaie jusqu’à 37,5%. La Banque Mondiale et USAID ont exercé également des pressions pour obtenir des conditions favorable pour des investissements étrangers dans l’industrie des engrais, la libéralisation de l’importation et l’élimination des contrôles nationaux.

La Banque Mondiale attribua des fonds pour les échanges internationaux nécessaires pour l’application de ces politiques. Les échanges internationaux, outils de la stratégie de la Révolution Verte, sur un plan quinquennal (1966-1971) a été évalué à 1114 Rs crores, ce qui équivaut à peu près à 2,8 billions de dollars au taux officiel de change de l’époque. Cela représentait un peu plus que 6 fois le total attribué à l’agriculture pendant le 3ème plan précédant. (191 Rs crores). La plus grande partie des échanges internationaux était utilisée pour l’importation d’engrais, des semences et des pesticides ; les nouveaux éléments d’une stratégie chimique intensifiée.

La Banque Mondiale et l’USAID sont intervenus pour fournir les fonds nécessaires à l’achat de paquets technologiques que les fondations Ford et Rockfeller avaient développés et transmis.

L’arrivée de la sécheresse en 1966 entraîna une baisse considérable de production de nourriture en Inde, et amena une augmentation sans précédent de la fourniture de céréales en provenance des USA. La dépendance alimentaire fut utilisée pour imposer des nouvelles conditions contractuelles sur l’Inde. Le président américain Lyndon Johnson instaura les livraisons de blé pour des périodes courtes et limitées. Il refusa d’attribuer une aide alimentaire de plus d’un mois tant qu’un accord pour installer le paquet de la Révolution Verte n’avait pas été signé entre le ministre Indien de l’Agriculture Mr C.S. Subramanian et le secrétaire américain de l’Agriculture, Orville Freeman.

La combinaison sciences et politiques en créant la Révolution Verte remonte aux années 1940 quand Daniels, ambassadeur des Etats-Unis au gouvernement de Mexico, et Henry Wallace, vice président des Etats-Unis installèrent une mission scientifique pour développer la technologie agricole au Mexique. Le bureau des Etudes Spéciales fut créé à Mexico en 1943 au sein du ministère de l’Agriculture sous forme de coopération entre la fondation Rockfeller et le gouvernement mexicain.

En 1944, Dr J. George Harrar, chef du nouveau programme de recherche mexicain et Dr Frank Hanson, membre de la fondation Rockfeller de New York invitèrent Norman Borlaug de quitter son laboratoire de recherche militaire de Dupont pour prendre en charge le programme de la recherche de la reproduction des plantes à Mexico. En 1954, la « plante miracle » de Borlaug d’une variété naine de blé avait été obtenue. En 1970, Borlaug reçut le « prix Nobel de la Paix » pour sa « grande contribution en créant une situation mondiale nouvelle en ce qui concerne l’alimentation ».

Cependant, la Révolution Verte n’apporta pas la paix au Punjab, elle apporta le terrorisme.

La Révolution Verte qui reçue un prix Nobel pour la Paix en 1970, a contribué à deux désastres sociaux et environnementaux en Inde. L’un fut le mouvement extrémiste et le terrorisme à Punjab, qui entraina l’assaut militaire du Temple d’Or et ensuite l’assassinat d’Indira Gandhi en 1984. L’autre fut la fuite de gaz de l’usine de pesticides « Union Carbides » à Bhopal, qui tua 3000 personnes cette nuit tragique de décembre 1984. Dans les deux décennies depuis cette tragédie 30.000 personnes sont mortes à Bhopal à cause de la fuite de ces gaz toxiques. La violence au Punjab coûta aussi la vie à 30.000 personnes dans les années suivant 1984.

Comment se fait-il qu’une « Révolution » qui reçue un prix Nobel de la Paix entraîna autant de violence ?? Mais son développement linéaire simpliste : technologie - prospérité - paix a échoué. La raison de cet échec provient du fait que les technologies de la Révolution Verte, comme les technologies de guerre, laissent la nature et la société appauvries. D’attendre que la prospérité puisse croître de technologies violentes qui détruisent la terre, érodent la bio diversité, épuisent et polluent l’eau et laisse les paysans endettés et ruinés était une prétention erronée faite pendant le lancement de la Révolution Verte. Cette prétention fausse a été répétée lors de la Seconde Révolution Verte basée sur la bio technologie et la génétique, qui sont à la base de l’accord USA/Inde.

Le « terrorisme et l’extrémisme » en Punjab est né de l’expérience de l’injustice de la Révolution Verte comme modèle de développement, qui centralisait le pouvoir et s’accaparait les ressources et les terres de la population. Lors de la Convention de All Sikh le 13 avril 1986, selon les paroles de Gurmata (transcrits dans mon livre « La Violence de la Révolution Verte) :

« Lorsque les revenus durement gagnés du peuple ou les ressources naturelles de n’importe quel pays ou région sont pillés avec violence ; lorsque les biens produits sont payés à un prix déterminé arbitrairement alors que ces biens sont vendus à de plus haut prix et lorsque, afin de réaliser ce processus d’exploitation économique jusqu’à son terme, les droits humains d’une nation, région ou population sont perdus alors les gens seront comme les Sikh aujourd’hui entravés par les chaînes de l’esclavage.

Les fermiers et le peuple du Punjab n’étaient de toute évidence pas en train de vivre la Révolution Verte comme une source de prospérité et de liberté. Pour eux c’était de l’esclavage. La Révolution Verte, les impacts sociaux et écologiques qui en découlaient, les réponses générées chez les fermiers en colère et déçus, porte de nombreuses leçons pour notre période, à la fois pour comprendre les racines du terrorisme et pour rechercher des solutions à la violence.

Ce sont des liens que nos politiciens n’arrivent pas à comprendre. Plus ils combattent le terrorisme, plus ils le créent avec leur politiques qui génèrent l’insécurité économique. Plus ils parlent de démocratie, plus ils détruisent la liberté en imposant des règles de commerce et des politiques qui nient la liberté des gens et agissent contre les fermiers et les citoyens. Les accords agricoles de l’OMC ont été rédigés par un employé de chez Cargill. Les accords du Droit des Propriétés Intellectuelles ont été rédigé par un groupe américain de différentes corporations y compris Monsanto. Le monopole de Monsanto sur les graines a déjà poussé des milliers de fermiers au suicide en Inde. Promouvoir le commerce avec Monsanto et Cargill à travers les accords sur l’agriculture USA/Inde tuera encore plus les fermiers, et finalement détruira la sécurité alimentaire, la souveraineté et la démocratie en Inde, générant toujours plus de terrorisme et d’extrémisme.

Les accords de Sciences et Technologies passées entre les USA et l’Inde établit des protocoles de propriété intellectuelle de recherche en passant outre la consultation des scientifiques et de la population indienne qui résistent et combattent le modèle américain qui force les pays à accepter de breveter la vie et créer les monopoles sur les graines, la médecine et les logiciels. Pour nous, ces accords sont des instruments de dictature corporatiste ; ce ne sont pas des outils de démocratie. Et en tant que dictatures, ils vont générer plus de colère, plus de mécontentement, plus de frustration.

Le terrorisme est l’enfant de l’économie injuste et de politiques anti-démocratiques, comme cela s’est démontré au Punjab en Inde et à Oklahoma aux Etats-Unis. Comme Joel Dyer le disait dans la Moisson de la Colère, une enquête sur les bombes d’oKlahoma et ses racines dans la crise des fermiers américains montre que les fermiers qui perdent leur ferme et leur cheptel sont victimes de stress sur de longues périodes. S’ils ne sont pas aidés, ils deviennent violent. S’ils se culpabilisent, ils dirigent la violence intérieurement et vont se suicider. S’ils accusent les autres, ils dirigent leur violence vers l’extérieur.

C’est la violence du terrorisme et de l’extrémisme. La seule solution durable pour traiter la terreur est d’augmenter la liberté et la sécurité des gens en protégeant leur vies, leur cultures, leur droits aux ressources naturelles et accroître leur choix démocratiques de la façon dont leur sociétés et leur vies sont organisées.

Les accords sur l’Agriculture, les Sciences et les Technologies entre les USA et l’Inde vont faire le contraire. Ils vont générer plus d’insécurité et diminuer la capacité des gens à faire des choix. Ils vont de ce fait échouer dans ses deux objectifs principaux de promouvoir la démocratie et éradiquer le terrorisme.

Traduit le 29 septembre 2005

www.zmag.org

source : http://altermonde-levillage.nuxit.net/article.php3?id_article=3791

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