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 Des laboureurs, des OGM... et des faucheurs

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wapasha
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wapasha


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MessageSujet: Des laboureurs, des OGM... et des faucheurs   Des laboureurs, des OGM... et des faucheurs EmptyJeu 22 Sep à 18:25

LE MONDE | 22.09.05 | 13h34 •
Des laboureurs, des OGM... et des faucheurs

Citation :
On n'avait pas vu ça depuis Monsieur Parmentier au XVIIIe, des gens d'armes garder un champ. Les temps ont changé. A l'époque, il fallait empêcher le vol de l'innovation agricole qu'a représentée la pomme de terre. A présent, on veut éviter la destruction d'une autre, l'organisme génétiquement modifié, l'OGM.

Des laboureurs, des OGM... et des faucheurs H_3_ill_686002_collectivites-ogm-agricu-27 Parcelle de maïs transgénique cultivé en plein champ près de Vic-Fezensac et d'Auch (Gers), en 2004.

AFP/ERIC CABANIS


Dans le Puy-de-Dôme, le flâneur qui descend les collines ondulant en contrebas du village de Nonette, perché sur un roc, a la surprise de découvrir, à l'ombre d'une rangée d'arbres longeant une belle pièce de maïs, un car de gendarmes mobiles parfaitement inquisiteurs. Plus loin, de l'autre côté du champ, une jeep de la gendarmerie garde le front arrière. Pendant ce temps, une escouade de vigiles privés parcourt les chemins alentour. Régulièrement, la nuit, un hélicoptère équipé d'une caméra thermique vrombit à la recherche d'une ombre suspecte. Objectif : repousser les Faucheurs volontaires qui s'attaquent aux champs d'essais d'OGM. En août 2004, les "Volontaires" ont saccagé ­ ou "neutralisé" , c'est selon ­ un champ transgénique au nord du département, à Marsat. Ils ont recommencé plusieurs fois cette année et, le 27 août, ils étaient à Nonette.

Leurs actions exaspèrent nombre d'agriculteurs locaux qui soutiennent les efforts de la coopérative Limagrain, premier semencier français, pour mettre au point des semences transgéniques. Mais la controverse sur les OGM révèle, au-delà de la fracture du monde paysan, une sourde inquiétude sur l'avenir même de l'agriculture.

A deux pas de Nonette, de l'autre côté de l'Allier, où les sangliers viennent discrètement fouiller d'autres champs moins stratégiques, Michel et Catherine Deloche ne décolèrent pas. "Ce sont des écolos terroristes ! Qu'on soit pour ou contre les OGM, peu importe ! On ne peut pas rentrer comme ça chez les gens, c'est une atteinte au droit !" Ils s'indignent particulièrement que les Faucheurs puissent compter d'autres paysans dans leurs rangs : "Des agriculteurs qui viennent détruire les champs des autres, ça ne leur fait pas mal au cœur ?"

A 30 kilomètres au nord, à Gerzat, au-dessus de Clermont-Ferrand, un autre couple d'agriculteurs assume sereinement sa participation à ces fauchages qui suscitent tant de procès en France. Comme celui de Toulouse, où comparaissaient José Bové et Noël Mamère les 20 et 21 septembre. Au sein du mouvement des Faucheurs volontaires dans le Puy-de-Dôme, Chantal et Jean-Sébastien Gascuel sont parmi les plus actifs. "A force de se documenter, on voit bien que tout ce qui est dit en faveur des OGM n'est pas crédible, relève Chantal. Il faut que les agriculteurs vérifient ce qu'on leur dit. C'est pour ça qu'on va dans les champs prendre des coups de matraque, pour dire aux collègues : réfléchissez ! On n'est pas des anarchistes, on fait de l'irrigation comme les autres." Surprise, les deux couples, le "pour" et le "contre", ne sont pas si différents l'un de l'autre. Leur histoire, leur bilan économique, leur modernité même les rapprochent.

Michel Deloche, né en 1971, est d'une famille où tous les hommes, père, frères, oncles, sont restés à la terre : "On a la passion, on a plaisir à semer, à faire pousser les plantes, à produire." Il passe son bac, obtient un BTS agricole, cherche une exploitation, qu'il finit par trouver. "Quand j'ai fait l'étude financière et regardé le bilan de l'année précédente, j'étais très inquiet. Mais j'ai pensé que je ferais mieux. Je suis arrivé le 15 mars 1994 avec un vieux camion et un tracteur dessus. Il y avait 70 vaches. J'ai dû apprendre à traire, à régler les problèmes sanitaires. Pendant presque quatre ans, je n'ai pas levé la tête." Il s'en sort, commence à respirer, participe au mouvement des Jeunes Agriculteurs, dont il devient un élu. Puis il rencontre Catherine, sa compagne, en 1999.

Elle ne vient pas du monde paysan : "Je suis née en 1971. Mon père est ouvrier chez Michelin, ma mère est chez Carrefour. J'ai fait un DESS de sciences économiques en gestion de patrimoine, j'étais très douée, j'ai toujours eu des mentions. Mais les boulots trouvés après les études ne m'intéressaient pas. J'étais sportive, très active, très physique. Je parcourais 500 km à vélo par semaine. L'agriculture ne me rebutait pas. Mon choix a surpris mes parents. 'On t'a payé des études et tu deviens paysanne ?''"

Malgré les difficultés du début, la greffe a pris. "Les vaches me pissaient dessus quand je leur nettoyais les mamelles", sourit-elle. La jeune femme devient vite aussi habile à conduire le tracteur de 140 chevaux qu'à tenir la comptabilité. Elle donnera bientôt naissance à une charmante petite Marie, aujourd'hui âgée de quinze mois. Malgré le poids des emprunts, l'exploitation ­ l'élevage a été abandonné en 2002 ­ tient la route. A force de travail, mais aussi de technique. "Il faut du soin, explique Michel, travailler au bon moment. Par exemple, la betterave se sème début mars. Il faut préparer le sol dès janvier-février, en profitant des fenêtres de beau temps. Pour les prévoir, j'appelle tous les matins la météo. De même, quand je sème, je vais doubler mes roues et les gonfler à seulement 400 g de pression pour ne pas tasser les sols. Ce sont des trucs qui ne se voient pas et qui font la différence."

Mais le couple se fait du souci. Les cours du blé chutent, le règlement européen sur la betterave va changer et la politique agricole commune (PAC) évolue dans un sens défavorable pour eux. Pour maintenir le chiffre d'affaires malgré la baisse du prix des céréales, il faudrait pouvoir s'agrandir, passer de 80 à 120 hectares. "Mais il faut l'aval de la commission départementale d'orientation agricole, qui estime qu'à 80 hectares il n'y a pas besoin de s'étendre."

La situation des Gascuel est comparable. Chantal, née en 1957, a toujours vécu à la ferme et a su très tôt qu'elle voulait en faire son métier, "au désespoir de mes parents, qui voulaient que je sois fonctionnaire" . Jean-Sébastien, son compagnon, aura 50 ans l'an prochain. Son père était architecte et randonneur assidu. Il a su transmettre à son fils le goût de la nature. Les deux jeunes gens se rencontrent sur les bancs du lycée agricole au début des années 1980. Ils ne se quitteront plus. En 1984, ils reprennent l'exploitation du père de Chantal ­ au prix d'un crédit qui court toujours. Au début, pendant plusieurs années, c'est difficile. Quatre enfants sont venus agrandir le foyer. Mais l'exploitation prospère. "Au début, se souvient Jean-Sébastien, j'étais un productiviste forcené. J'ai toujours aimé ce métier dans son aspect technique, et j'ai adhéré au Centre d'études techniques agricoles (CETA), dont j'ai été un administrateur. J'étais passionné."

Le couple se retrouve parmi les premiers agriculteurs à tester les OGM. "Avec le CETA, on fait des essais chaque année dans un coin de champ. Une année, un ami me dit : 'On a une variété génétiquement modifiée de maïs.' On a semé vers 1995-1996 sur la surface d'une terrasse. Je ne sais même plus ce que ça a donné."

L'objectif du CETA était avant tout de chercher à améliorer le rendement. Mais le couple Gascuel se détachera peu à peu de cette idée. Malgré des rendements inférieurs, il calcule que la marge nette de son exploitation de 80 hectares peut être meilleure que d'autres. Et puis, en ville, Chantal et Jean-Sébastien ont rencontré des militants "Verts", de la Ligue de protection des oiseaux notamment. Ils se sensibilisent à l'écologie. "Peu à peu, entre nous et les autres agriculteurs, qui intensifiaient plutôt leur production de plus en plus, s'est établi un décalage." Ils décident, eux, de faire évoluer leur pratique, limitent l'épandage de produits phytosanitaires, plantent des haies le long des champs. "On ne pouvait plus discuter avec les collègues, se rappelle Chantal. Ils étaient hermétiques à notre discours. Et ça les dérangeait que ce soit une femme qui conduise le tracteur. Une année, j'ai fait le semis toute seule."

En 1996, Chantal franchit le pas. Elle adhère à la Confédération paysanne de José Bové et acquiert le statut d'exploitant agricole, ce qui est rare pour une femme. "Quand je suis arrivée au syndicat, on m'a attribué le dossier des OGM, qui commençait à faire parler de lui. J'ai tout lu." Un "collectif OGM" s'établit, organise réunions et débats. "Mais on s'est rendu compte que se contenter d'informer n'était pas suffisant. On tournait en rond. Les recours juridiques contre les OGM traînent en longueur, pendant ce temps, les essais se multiplient. En tant que citoyens, on est impuissants. Que peut-on faire, sinon une action médiatique ?"

Les Gascuel se lancent dans le mouvement des Faucheurs volontaires ­ une démarche qu'ils paieront au prix fort : l'agriculteur modèle est exclu du CETA, son contrat avec Maïcentre, la coopérative filiale de Limagrain qui distribuait sa production de maïs, est rompu. L'exclusion les pousse à effectuer le grand saut. Ils convertissent leur exploitation au biologique, alternative radicale au système productiviste dominant. "Passer au bio, dit Jean-Sébastien, c'est comme une deuxième installation. Mais je me rends compte que cette agriculture est beaucoup plus technique que la conventionnelle. Ce n'est pas un retour en arrière, au contraire."

Les Deloche, eux, ne croient guère à ce "progrès". "Je n'ai rien contre le bio, dit Michel. Si les consommateurs en veulent, il faut leur en donner. Mais il n'est pas possible que toute l'agriculture soit bio. Les rendements sont trop faibles et il y a énormément de mauvaises herbes dans les sols." On l'a compris, les deux couples divergent totalement dans leur conception même du système agricole, lequel continue de privilégier la production maximale. Pour Chantal Gascuel, "cette agriculture est arrivée en bout de course : avec la hausse des engrais et la baisse des cours, il n'y a plus de progrès possible avec ces méthodes. Si l'on tient compte des problèmes de pollution et de consommation d'eau, évidemment".

Michel Deloche répond à distance : "Je ne pense pas qu'on ait épuisé les possibilités de progrès technique. On est presque compétitifs pour produire de l'énergie en biocarburant. Grâce à l'irrigation, il y a moins de nitrates dans les nappes. Les OGM sont un enjeu de progrès, une évolution dans notre façon de travailler. Ils ne vont pas révolutionner l'agriculture, mais ils peuvent faciliter les choses, ouvrir de nouveaux marchés, comme avec ces plantes dont on produit des médicaments."

D'après les Gascuel cependant, si les OGM se répandent, ils s'imposeront forcément à tous, par contamination génétique. "Leur diffusion est irréversible, s'énerve Chantal. On va m'obliger, moi, à accepter la pollution des OGM ? Impensable ! Pour la santé des gens et pour l'environnement. Il faut être capable de tirer les leçons du passé, avec les crises sanitaires et la pollution." Michel Deloche intervient : "Le pollen, il ne faut pas nous en raconter, parce qu'en tant que semenciers, on connaît. Si on veut éviter qu'il se disperse partout, c'est tout à fait possible."

Peut-il y avoir dialogue entre ces quatre laboureurs ? Leur approche, on l'a vu, est très divergente. Pour les uns, les OGM ne sont qu'une technique nouvelle dans l'évolution du secteur. "C'est un outil dans une panoplie, dit Michel. Je ne suis pas un acharné, mais ce serait dommage de s'en priver." Pour les autres, il s'agit d'un choix presque philosophique. "Il s'agit de choisir entre deux voies : la pluriactivité de l'exploitation, qui serait familiale, à échelle humaine, et la très grosse entreprise spécialisée, intensifiée à outrance, requérant peu de travail et ne prenant en compte ni les critères de paysage, ni ceux de la pollution, ni le chômage."

Deux avenirs possibles de l'agriculture s'affrontent. Rien ne semble pouvoir les concilier. Sauf leur amour viscéral pour la terre. L'un comme l'autre le diront : ils ont "la passion" .

Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 23.09.05
source : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3230,36-691693@45-1,0.html

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