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 Afrique du sud : un paradis peuplé de démons

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AuteurMessage
wapasha
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wapasha


Nombre de messages : 4560
Localisation : Pays des Abers
Date d'inscription : 30/04/2005

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MessageSujet: Afrique du sud : un paradis peuplé de démons   Afrique du sud : un paradis peuplé de démons EmptyLun 12 Sep à 18:33

altermonde-levillage-Par Gabrielle-lundi 12 septembre 2005
Afrique du sud : un paradis peuplé de démons

Citation :
Pretoria, janvier 2001

J’ai rencontré mon compagnon un jour d’octobre 1999, au bord de l’Océan Indien, près du Cap en Afrique du sud. Jules travaillait alors pour l’UNESCO. Je venais de faire huit mille huit cent kilomètres pour assister à un congrès international. La matinée étant libre, j’avais le choix entre la visite d’un township et celle des baleines australes. La visite organisée de la misère me parut indécente et je choisis d’aller à la rencontre de ces grandes dames du monde aquatique. Je rencontrai donc, dans un minibus sud-africain, un Belge qui avait été affecté aux Nations Unies à Pretoria. Encombrés de nos appareils photos, nous avons pris ensemble la direction d’Hermanus pour capturer les ébats amoureux des cétacés dans ce coin de l’Afrique, à cette période de l’année.


Cette rencontre fut le début d’une belle histoire d’amour. Juste après mon divorce, j’ai rejoint à Pretoria celui qui partage toujours ma vie avec ma petite fille qui avait alors deux ans et demi. Tout comme j’étais tombée amoureuse de lui, je suis tombée amoureuse de ce pays magnifique. Je m’adaptais bien au mode de vie sud-africain, à ce délicieux climat, au multilinguisme, à la lumière africaine et à la splendeur des paysages et des parcs animaliers. Nous avions été prévenus des dangers de ce pays. Il y a quelques années, New York détenait le triste record de la ville la plus dangereuse du monde, mais Johannesburg lui avait volé cette place. Nous étions avertis et prudents et pourtant, le 15 janvier 2001, le rêve sud-africain a viré au cauchemar.

Un très beau soir de janvier, au cœur de l’été austral, alors que nous finissions de dîner dans le jardin, quatre hommes armés ont surgi. Jules a tenté de repousser les quatre intrus mais face à un révolver, on évite les discussions. Quant au bip d’alarme dont la maison était équipée, bien sûr, impossible de mettre la main dessus. Il s’était glissé sous un panier à fruits dans la cuisine et on ne l’a retrouvé que plus tard. Jules a reçu un violent coup de crosse sur la tête et nous nous sommes retrouvés, ligotés tous les trois dans le jardin, puis repoussés dans le bureau pour qu’ils puissent commencer à leur aise le pillage de la maison. Un des hommes m’a alors traînée avec ma fille dans une autre pièce de ma maison et là, d’un seul coup, j’ai compris. Notre ami médecin qui travaillait pour la Croix-Rouge sur différents terrains d’opération, en particulier en Afrique, nous avait raconté assez d’horreurs et de viols pour que je comprenne rapidement ce qui allait se passer. Qu’il me fasse ce qu’il voulait mais qu’il laisse ma fille. Je me suis tournée vers lui et, en larmes, je l’ai supplié de l’épargner. Qu’il la laisse partir, qu’elle ne soit pas le témoin de ce qu’il allait faire à sa mère et surtout, qu’il ne détruise pas à jamais sa vie de femme.

Ai-je été assez persuasive ? Ai-je eu seulement de la chance ? Je ne le saurai jamais. Ce qui est certain c’est qu’il a laissé ma petite fille repartir et que je suis restée seule avec lui. Pendant qu’il prenait sa part de butin, je me répétais sans cesse que j’avais assez connu et apprécié l’amour pour pouvoir encaisser cette épreuve. Pour une petite fille de trois ans, les dégâts auraient été irréversibles. Les mains liées dans le dos, j’ai pleuré en silence, pour ne pas lui faire cadeau de mon dégoût et de ma peur. Ce grand africain décharné, aux joues creuses et visiblement à un stade avancé de sa maladie a remis son jean et ses tennis rouges, et il m’a raccompagnée au bureau où j’ai retrouvé ma fille et Jules. Je n’ai rien dit. Si j’avais parlé, la réaction de Jules aurait pu nous coûter la vie.

Pendant une heure, ils ont volé tout ce qu’ils pouvaient trouver dans la maison, puis ils ont resserré nos liens. Et le silence est enfin revenu. Nous avons encore attendu un peu, sans un mot, sans une larme. Oui, ils étaient partis. Il nous a alors fallu plus d’une heure pour nous libérer car nous étions pieds et poings liés. Jules qui avait été ligoté avec du fil de fer ne sentait plus sa main. J’ai cru qu’il allait la perdre. Ce ne fut pas le cas heureusement, mais sa main est restée partiellement insensible pendant plusieurs semaines.

Quand j’ai réussi à défaire les liens de mes jambes, j’ai couru dans le jardin en hurlant pour me faire entendre des plus proches voisins et j’ai enfin retrouvé le bip d’alarme. Tout a été alors très rapide. La police est arrivée. Une femme très douce qui avait hélas, l’habitude de poser cette question, m’a demandée si ces hommes m’avaient fait quelque chose. J’ai répondu que oui et c’est là que Jules a enfin appris ce qui m’était arrivé. Ensuite, il y a eu le passage au commissariat, la visite de nuit à l’hôpital de Pretoria, l’examen gynécologique effectué par un médecin légiste atteint de mimétisme professionnel (génial pour le moral en pareil cas !), l’absorption pendant 6 semaines d’un cocktail à base d’AZT pour parer à une éventuelle contamination par le sida et les douleurs d’estomac qui en résultent, puis les mois d’attente entre les différents tests qui ont finalement montré que j’étais séronégative.

La police s’est montrée totalement inefficace. Mon téléphone cellulaire avait été volé lui aussi et était resté allumé. On aurait pu ainsi localiser facilement les voleurs. La police ne semblait pas intéressée par ce fait. Incompétence ou absence de volonté ?

Qu’allions-nous faire ? Partir ou rester ? Nous venions d’acheter une maison et, ironie du sort, nous avons reçu le lendemain de l’attaque, un appel nous disant que la maison était à présent à notre nom.
Nous avons donc décidé de rester, mais l’Institut de Français que nous venions de démarrer n’a pas tenu ses promesses et l’UNESCO n’a pas renouvelé le contrat de mon compagnon. L’insécurité et le manque d’avenir du pays nous ont décidé. Nous avons bradé la maison, dit au revoir aux amis en sachant que c’était certainement un adieu et pris l’avion du retour le 28 août 2001, direction Toulouse. Onze jours plus tard, les Twin Towers s’écroulaient à New York et le 21, c’était le tour de l’explosion de l’usine AZF.

Notre amour est intact et nous a permis de survivre à ces épreuves et surtout de nous reconstruire. Matériellement, nous avons perdu beaucoup. Professionnellement, nous n’avons plus ni boulot digne de ce nom, ni espoir d’en retrouver un. Sentimentalement par contre, nous sommes millionnaires.

L’Afrique du sud est loin maintenant. Je pense encore à nos amis sud-africains qui sont restés là-bas, aux couleurs et aux odeurs de cet envoûtant pays. Ce pays m’a meurtrie et pourtant, je ne ressens aucune haine. J’ai quitté l’Afrique mais je ne l’oublierai jamais. Il suffit d’un rien pour qu’un jour elle se révèle à l’un de nos cinq sens, n’importe où, n’importe comment. Vous pouvez quitter l’Afrique mais l’Afrique ne vous quittera jamais (proverbe africain).

Du nord-est de l’Afrique du sud au sud-ouest de la France


Lorsque nous sommes revenus en France, il a fallu que je réapprenne mon propre pays. Aucune cellule psychologique ne nous attendait. Dans les média, les mots stress, angoisse, catastrophe, insécurité, revenaient pourtant de manière lancinante. Le pays de râleurs que j’avais quitté en partant pour l’Afrique avait sombré dans la psychopathologie larmoyante généralisée. Un nouveau métier avait émergé : le Psychologue Urgentiste ès Catastrophes. J’apprenais avec surprise que, à chaque événement pourvoyeur de stress et de catastrophe, le PUC pointait le bout de son nez. Mon pays avait un drôle de parfum. Comme si la réalité de l’Afrique, de ses excès et de sa violence avait modifié mon regard sur mon propre pays.

Quand la Star Academy avait été lancée pour produire des artistes, j’avais cru qu’il s’agissait d’une erreur de pilotage et que, très vite, on verrait émerger de nouveau les enfants de Gainsbourg ou de Nougaro. Mais non, la génération du kleenex musical s’est installée et semble vouloir durer plus longtemps que les productions jetables qu’elle commercialise. Plus la création agonise, plus la résignation gagne du terrain, et avec elle des peurs sous toutes leurs formes. Les peurs et l’absence de créativité font bon ménage et s’alimentent l’une l’autre.

Où est le côté démerdard dont on a toujours gratifié le Français ? Nos grands-parents ont vécu la deuxième guerre mondiale, puis aidé à la reconstruction de notre pays. Nos parents ont traversé les Trente Glorieuses avec des projets plein la tête. Quant à nous, nous avons perdu créativité, esprit d’équipe, sens de la solidarité et de la famille. Que nous est-il arrivé ? Notre vulnérabilité a augmenté au fur et à mesure que nos conditions matérielles s’amélioraient. Nous sommes devenus des solitaires fragilisés accros à leur Prozac. Le moindre chagrin devient une dépression nerveuse et le moindre bobo une pathologie aiguë. Le contact avec la famille et les amis a disparu au profit du médecin, de l’industrie pharmaceutique et du PUC.

Le chômage est aussi devenu une pathologie sociale. Le travail nous ayant toujours été présenté comme le but ultime de l’existence, que ce passe-t-il alors lorsqu’il nous est tout d’un coup interdit ? Nous plongeons, bien évidemment, car travail signifie argent et argent signifie pouvoir d’achat. Pouvoir d’achat... Voilà encore un mot qui inonde tous les médias, le cousin inséparable de la croissance et de la consommation. Le Pouvoir d’Achat des Français... Tiens, encore un bel acronyme, le PAF. Nous ne sommes plus des êtres humains, nous sommes des consommateurs. Pas étonnant que Serge soit parti fumer ses clopes au Paradis car ici, le tabac est devenu politiquement incorrect, comme le reste d’ailleurs.

Nous avons vécu viol et violence. Nous avons perdu carrière et revenus. Nous n’avons fait la une que d’un seul journal, le Pretoria News de janvier 2001 à la rubrique des faits divers. Nous avons été privés - épargnés ? - de toute cellule psychologique et pourtant, nous sommes le témoignage vivant que l’on peut vivre chômeurs, fauchés et heureux. Mon pays s’enlise dans le désespoir et l’angoisse et cependant, il suffit de peu pour prendre sa vie à bras le corps et en devenir les acteurs. J’apprends maintenant à me libérer de ce monde pathogène et follement angoissant.

Qu’on ne me dise pas que ce que nous avons vécu à Pretoria soit terrible. Les angoisses que génère notre société sont infiniment plus lourdes à porter car elles sont insidieuses et enlisées sous les faux-semblants.

Gabrielle
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